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Nouvelles, Frank Herbert I et II (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 19.04.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Nouvelles, Science-fiction

Nouvelles, Frank Herbert, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Vincent Basset et al., édition de Pierre-Paul Durastanti, deux tomes, 736 pages & 656 pages, 11,50 € & 10,90 €

Edition: Folio (Gallimard)

Nouvelles, Frank Herbert I et II (par Didier Smal)

 

La renommée de Frank Herbert est essentiellement due au cycle de Dune, publiée à partir de 1965, et elle s’est encore amplifiée depuis l’adaptation cinématographique par Denis Villeneuve (2021) ; elle s’est aussi renouvelée en francophonie, grâce à une traduction de ce cycle révisée par Fabien Le Roy. Probablement cette édition en deux tomes de l’intégrale de ses nouvelles publiées entre 1962 et 1979, originellement publiée chez Belial et rééditée chez Folio, participe-t-elle de ce regain de renommée – ce que semble indiquer le bandeau « Par l’auteur de Dune » ornant les deux volumes.

Quoi qu’il en soit, elle permet d’aborder, dans l’ordre chronologique, des textes jusqu’à présent disséminés dans diverses anthologies voire inédits en français, et de constater que Herbert suivait lui-même les « règles d’écriture » qu’il propose dans une belle « Introduction » :

« Règle numéro 1 : Travaillez à développer un lien quasi-naturel entre votre outil principal et vous.

Règle numéro 2 : Votre outil principal, c’est le langage, écrit ou parlé.

Règle numéro 3 : Ecrivez régulièrement ; n’attendez pas que votre muse favorite se manifeste.

Règle numéro 4 : Sachez sentir et réagir à votre public, mais ne soyez pas son esclave ».

Comme tous les auteurs de science-fiction à l’œuvre entre 1950 et 1980 dont l’œuvre est toujours lue, Herbert s’est tenu strictement à sa quatrième règle : il écrivait à destination d’un public conquis d’avance mais exigeant dans ses attentes, celui qui achetait les magazines de science-fiction dans lesquels étaient publiées ses nouvelles, tout en veillant à le surprendre – et à ne rien perdre en qualité littéraire, que ce soit quant au style, quant à la puissance « racontante » ou quant à l’intelligence du propos.

Ce que raconte Herbert, ce sont des visions d’avenir, dans lesquelles une part belle est donnée à des technologies avancées ou des notions scientifiques précises, ou le tout mêlé, mais le lecteur est vite gagné par l’impression que l’auteur de Dune, ce dont on se doutait déjà à la lecture de ce cycle (mais aussi de celui du Programme conscience, ainsi que des nouvelles croisées dans un volume défraîchi de Champ mental et un autre du Livre d’or de la science-fiction), se sert de la science-fiction bien plus qu’il ne la sert – un peu à l’image d’un Dick ou d’un Vance, pour n’en citer que deux autres. La science-fiction, pour ces auteurs, n’est qu’un terrain de jeu narratif dont les limites ont été reculées, d’où la possibilité d’emmener des personnages humains dans des contrées, mentales ou spatiales, à explorer encore et encore, de façon différente et parfois plus profonde que dans un ici et maintenant « normal ».

De la première nouvelle, Vous cherchez quelque chose ?, effrayante plongée dans la manipulation mentale de masse, à la dernière, Le ferossik fortuit (qui met en garde dès le premier paragraphe, et cette mise en garde pourrait valoir pour la lecture de tout récit de science-fiction de haute volée : « Pour comprendre ce qu’il advint à Henry Alexander quand son fils Billy ramena le ferossik à la maison, il vous faudra effectuer divers réglages qui vous élargiront l’esprit. Cette gymnastique mentale vous changera à jamais ». Gérard Klein aurait pu écrire ces mots dans une de ses préfaces…), Herbert raconte surtout la confrontation à l’Autre, même dans l’humoristique et parfaite de brièveté Les grenouilles et le savant (la fable qui manquait à l’œuvre de La Fontaine). Cet Autre est parfois, mais rarement, politique (au moins un auteur qui échappe quasi à la lourdeur de ces nouvelles de science-fiction reflétant la Guerre froide) ; il est aussi celui qui nous oblige à poser un regard différent sur la réalité telle que nous la considérons comme acquise ; il est surtout nous-mêmes.

À ce titre, Herbert, psychanalyste jungien à ses heures, porte une grande attention au langage, à ses possibilités, et il a écrit une nouvelle sublime sur ce que signifie « communiquer », c’est-à-dire « se souvenir de notre propre langue, celle que nous connaissions dans l’enfance et que nous avons peu à peu perdue avec la maturation de la raison ». C’est la nouvelle Essayez de vous souvenir, et elle bouleverse toujours autant trente-cinq ans après sa première lecture. Elle bouleverse comme bouleversent tant d’autres nouvelles de science-fiction : avec l’intensité de la brièveté, avec l’ouverture aux possibles qu’offre le genre, elles peuvent parfois dire plus sur l’humain que bien des romans « classiques ». Enfin, pour autant que cette étiquette ait un sens, ce dont douterait donc un Gérard Klein, avec la tentation justifiée de considérer Dune comme un de ces purs « classiques ». Idem pour une bonne moitié des nouvelles ici enfin recueillies, qui offrent bien plus qu’un plaisir de lecture qu’il serait par ailleurs idiot de bouder.

 

Didier Smal

 

Frank Herbert (1920-1986) est un auteur américain de science-fiction. Son cycle de Dune est souvent cité parmi les œuvres essentielles du genre.

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A propos du rédacteur

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.