Nos silences animaux, Serge Ritman (par Didier Ayres)
Nos silences animaux, Serge Ritman, éditions Collodion, novembre 2021, dessins Laurence Maurel, 72 pages, 12 €
Acuité
Ce qui frappe tout de suite à la lecture de Nos silences animaux, c’est la certitude du trait. Il ne fait pas preuve d’hésitation. Le texte est donc décidé dès les premières lignes et il manifeste clairement son lien avec la langue, lieu sûr et presque stable, assuré, qui nous permet clairement d’entrer de plain-pied dans l’univers du poète. Je dis donc poésie nette, car encline à la force paisible du contour littéraire. Du reste, ces poèmes s’accompagnent des fusains et lavis de Laurence Maurel. J’y vois la revendication d’une volonté définie de s’intéresser au mouvement de la plume, sorte de certitude pour la peintre (et ici pour le poète) d’une confiance dans le geste sans repentir, directement présent à la figure (ici au poème). Cette opération du pinceau ou du stylographe se teinte d’une vérité du discours pictural ou poétique.
avec dessiner ou écrire
à vite qu’il signe à même mon tissu
de serge
Et les animaux, présents depuis le titre, qu’ils soient insectes, cervidés, plantigrades, félidés, canidés, oiseaux…, sont pensés sous forme d’angon. Oui, une espèce de flèche qui par la nomination devient générique. Un lion soudain est un lion pour tous les lions, en une subsumation, devient principe et corps de la catégorie elle-même. S’ajoutant au principe de l’écriture certaine, on voit donc comment le texte avance avec discernement et attention, attention au sujet autant qu’à l’expression en soi. On reste donc dans le cadre d’une recherche, mais qui ne ferait pas aveu de son bois d’œuvre. Nous lisons cette poésie comme dépositaire d’elle-même.
une bête il essaie d’apprivoiser
qu’elle bondisse sur sa grammaire
défasse syntaxe et rougisse termes
sans rapports verte il la
sent proche
En un sens, il y a presque un appareil, une mécanique dialectique entre cette essentialisation et la compréhension qui en est issue. On voit le lettré, celui qui vient de nos humanismes de la Renaissance, prendre le dessus. Il s’agit pour le lecteur de reconstituer le sens qui, lui, reste duel, et ainsi rentrer dans un système d’éclats et de tensions. Car cette certitude du geste vaut pour ce qu’il saisit, non pas compris comme une démarche narcissique – narcissisme qui souvent se rend coupable de facilité. L’ouvrage ne s’arrête pas au seuil du poème. Car faire se replier le paradigme sur le syntagme, demande une clarté de la construction du texte. Nous sommes ainsi au milieu d’une étoile qui ne se boucle pas sur elle-même mais dans un topos de circulations et d’arrachements au réel. C’est là d’ailleurs que l’on reconnaît la poésie, seule susceptible de faire réalité de la réalité.
elle va d’un pas
lorsqu’elle bondit où
les fantômes
s’écoulent d’un pas éternel
sa belle individuelle
unité ne parle pas
elle médite et tire la langue
jusque dans ses pattes
c’est le lion qui réside
sa toute puissance
[…]
Didier Ayres
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