Nos écrivains ont peur d'écrire leurs autobiographies
Souffles
Pourquoi est-ce que les écrivains algériens, maghrébins et arabes n’ont pas le courage d’écrire leurs autobiographies ? Pourquoi n’osent-ils pas écrire leurs miroirs ? N’osent-ils pas se regarder en face, fouiller dans la mémoire sans la trahir ? Ecrire son autobiographie, une autobiographie digne de cette appellation, exige un risque intellectuel et culturel exceptionnel.
Dans notre culture marquée par le poids du communautaire où l’auto, le moi, le un, l’individu ou l’individuel est banni ou mal-vu, l’écriture de l’autobiographie devient un défi ! Une provocation ! Y-a-t-il parmi ceux qui se prétendent écrivains et producteurs de sens et de la beauté quelqu’un qui a osé commettre un livre à l’image des confessions de Jean-Jacques Rousseau ? Pourquoi est-ce que les maîtres de la littérature maghrébine et arabe n’ont pas écrit leurs autobiographies ? Ni Moufdi Zakariya, ni Mohamed Dib, ni Kateb Yacine, ni Malek Haddad, ni Abdelhamid Benhadouga, ni Mouloud Mammeri, ni Mouloud Feraoun… aucun d’eux ne s’est aventuré dans les chemins labyrinthiques de son autobiographie.
Ecrire son autobiographie juste, sans trucage ni maquillage politique, religieux ou familial, est un acte rebelle, à l’encontre de la pensée du troupeau. Lorsque l’écrivain marocain Mohamed Choukri a publié son roman autobiographique Le Pain Nu, il a été insulté par toutes les institutions religieuses, culturelles, politiques et même universitaires. Le roman a été interdit puis publié en anglais et en français avant d’être publié et clandestinement en arabe, sa langue d’origine. Y-a-t-il un autre Mohamed Choukri parmi nos écrivains qui ne cessent de hurler leur modernité ? En lisant quelques pavés classés comme écrits autobiographiques : mémoires ou journal, peu importe, on sent que celui qui se cache derrière ce texte, c’est-à-dire l’écrivain, a l’image d’un ange ! Nos écrivains, dans leurs autobiographies, sont faits de la même pâte que les anges ! Ils sont nés dans le politiquement correct ! Ils ont grandi dans le religieusement correct ! Ils sont le produit du familialement correct ! Tout est limpide, angélique et idéal ! Il n’y a pas d’écrivain, écrivain vrai, qui n’est pas hanté par la faute, habité par le diable ! Ici, le sens du diable n’est pas péjoratif, au contraire il est le symbole du refus et du questionnement divin et terrestre ! Tous nos quelques écrivains, comme nos quelques politiques, qui ont écrit leurs autobiographies sont identiques. Bien lavés, bien éduqués nace m’lah ! Il n’y a pas de littérature, de modernisme sans la vérité, celle qui habite les détails, certes toute vérité est proportionnelle ! En lisant ce qui est publié chez nous, en tant qu’art autobiographique, je me demande : quand aurons-nous un écrivain à la taille d’Henry Miller ? Le mensonge dans l’autobiographie, chez nous, n’est pas d’ordre esthétique mais d’ordre moral et puritain. Nos écrivains sont élevés dans une culture d’hypocrisie, et par conséquent ils sont incapables d’écrire indépendamment des valeurs de cette culture. Nos écrivains grandissent dans la culture de la honte (elhachma), ainsi se trouveront impuissants de se libérer des valeurs de cette culture. Nos écrivains vivent assidûment dans l’idée de la repentance et du remords, donc ils sont en permanence à la recherche de comment cacher l’erreur, comment dissimuler le diable, comment enterrer le mal ! Mais celui qui croit à l’idée de la repentance ne peut pas adhérer à la philosophie de la confession qui est en somme l’élément fondamental pour l’écriture autobiographique.
Amin Zaoui
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