Nos derniers jours, Un temps à vivre, Kathryn Mannix (par Gilles Banderier)
Nos derniers jours, Un temps à vivre, Kathryn Mannix, Flammarion, mars 2022, trad. anglais, Marie-Anne de Béru, Clotilde Meyer, 318 pages, 22,90 €
Edition: Flammarion
La mort est à la fois banale et exceptionnelle. Banale car, comme le rappelle Kathryn Mannix, « le taux de mortalité reste de cent pour cent » (p.16). Quoi qu’affirment les différentes religions, il n’est pas d’exemple d’être humain immortel. Même le Christ, le Fils de Dieu, a connu l’épreuve de l’humiliation, de l’angoisse, de la déréliction et, pour finir (ou pour commencer, selon le point de vue) de la mort. Auparavant, seul le prophète Élie avait échappé à la mort physique, mais le judaïsme s’est étrangement abstenu de bâtir une théologie entière sur cette exception, comme si elle était de peu de conséquence.
Exceptionnelle, car l’expérience des autres, si nombreux soient-ils, à avoir quitté ce monde avant nous (« Les morts sont plus nombreux que les vivants », écrivait Ionesco), ne nous est d’aucun secours et chacun doit « vivre sa mort » (étrange expression) individuellement, au contraire de la naissance, dont personne n’est conscient (sans doute est-ce mieux ainsi).
La mort est – ou devrait être – un moment recueilli et intime, le dernier, quoi qu’il arrive ensuite (ou non) de la vie telle que nous la connaissons. Car, s’il se trouve une forme d’existence après la mort, elle n’aura de toute évidence rien à voir avec ce dont nous avons fait l’expérience.
Comment Kathryn Mannix vivra-t-elle sa mort, le moment venu et qu’on souhaite le plus lointain possible ? Nous ne le savons pas et peut-être elle-même ne le sait-elle pas. En cette vie-ci, elle exerce comme médecin dans des services de soins palliatifs, qui sont parmi les plus durs de l’éventail des spécialités hospitalières. Dans un service d’obstétrique, même si les difficultés, voire le tragique, peuvent se manifester parfois, les issues heureuses sont la norme et l’on en ressort avec un nourrisson dans son couffin. En revanche, les patients sortent des soins palliatifs dans un cercueil et la seule chose qu’on puisse espérer est qu’ils finissent le plus doucement possible, sans négliger qu’il ne s’agit pas toujours de personnes parvenues au terme d’une très longue existence bien remplie (à la Ernst Jünger) et pour qui la mort constitue le seul événement encore raisonnablement prévisible. Kathryn Mannix a eu, comme tous ses collègues, à s’occuper de patients jeunes, à qui la vie semblait sourire et promettre tout ce qu’elle peut promettre, mais qui se retrouvèrent frappés de maladies incurables. Le Dr Mannix échappe aux pièges de l’écriture médicale ou scientifique, dans sa sécheresse et son objectivité apparente. Elle a peint une série de portraits, autant d’instantanés, comme si sur un phénomène aussi universel, il n’y avait que ces cas particuliers. Sans doute est-ce vrai, si l’on ne veut pas verser dans le discours général du prédicateur. Un psychiatre américain, s’occupant également de malades incurables, le Dr Irvin D. Yalom, proposait à ses étudiants et à ses patients l’exercice suivant : prenez une feuille de papier, leur disait-il, et tracez-y une ligne. Sur cette ligne, dont le début représente votre naissance et la fin votre mort, placez un point qui symbolise l’endroit où vous pensez vous trouver entre ces deux néants, puis réfléchissez à ce que cela implique. « Si la réalité de la mort peut nous détruire, l’idée de la mort peut nous sauver. […] Nous ne disposons que d’un instant de soleil, un instant précieux et béni » (Comment je suis devenu moi-même, Albin-Michel, 2018, p.234-239). La mort fait partie de la vie. Chacun comprend, à un âge variable, mais en général assez tôt, que celle-ci s’arrêtera un jour et qu’à ce moment-là les regrets ne serviront qu’à empoisonner nos derniers instants. À chacun donc de rendre sa vie la plus riche et la plus intéressante possible.
Gilles Banderier
Le Dr Kathryn Mannix a commencé sa carrière dans les soins contre le cancer, pour se spécialiser en médecine palliative.
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