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Nos débuts dans la vie, Patrick Modiano

Ecrit par Philippe Leuckx 09.01.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Gallimard

Nos débuts dans la vie, octobre 2017, 96 pages, 12 €

Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard

Nos débuts dans la vie, Patrick Modiano

 

Première pièce du romancier français, nobélisé, Nos débuts dans la vie, qu’une date traverse – 19 septembre 1966 –, propose une théâtralisation d’éléments biographiques exposés dans Un pedigree (Gallimard, 2005). La pièce raconte les démêlés de Jean avec sa mère Elvire, comédienne de boulevard, et le compagnon de celle-ci, Caveux. Le quatrième personnage, Dominique, est une jeune comédienne qui répète du Tchékhov. Il ne faut pas être grand clerc pour lire les clés que fournit le livre autobiographique de 2005 : Elvire est la transposition de la mère du romancier, Louisa Colpeyn (née Colpijn), actrice de seconde zone, qui a surtout fait des tournées de théâtre dans les casinos des villes où l’on expédiait en pension forcée le futur écrivain, fugueur impénitent. Caveux, écrivain qui bride Jean, se moque de son travail d’écriture et ne fait pas une phrase sans citer les mérites de Sartre, c’est le bouillant Jean Cau, compagnon de la comédienne.

Mais la pièce « à clés », comme on le dit à Paris des romans « à clés » et dont la lecture s’essouffle une fois ces clés détroussées, va bien au-delà et rejoint les préoccupations majeures du romancier de tant d’œuvres sur la mémoire et sa quête (Les Boulevards de ceintureRue des Boutiques obscures, jusqu’aux derniers et palpitants L’horizonL’herbe des nuits ou Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier). Il est question de temps, de mémoire comme toujours, et les enjeux de la pièce (qui cite Tchékhov ou Salacrou) trouvent sens dans cet empilement des scènes où se perdent les notions de temps et de souvenir : ce n’est pas seulement le rêve qui brouille les cartes mais c’est aussi le jeu même de la mémoire perdue, altérée. Les années ont passé, trois ou quarante ans, peu importe, et sur un banc, des personnages s’abîment à vouloir se retrouver. C’est beau, c’est modianesque à souhait, c’est poignant. Et que l’auteur consente, sous le masque ici, à se déguiser en Jean pour mieux traquer les défauts et travers des personnages, ranime la tension même que nous attachons à la prégnance de ses fictions – que nous savons aujourd’hui et depuis Un pedigree beaucoup plus ancrées dans sa propre histoire.

L’écriture, aux dialogues élégants ou acérés, aux scènes très brèves qui s’enchâssent brillamment, montre à l’envi que Modiano est à l’aise dans tous les genres, puisqu’il s’est déjà adonné au scénario (le fameux Lacombe Lucien de Louis Malle), à la chanson, et que sa maîtrise romanesque lui a valu la récompense suprême en littérature internationale.

À l’image de Paris (qui change), du temps qui file et nous égare, la pièce résonne longtemps comme l’image même de ce qui nous arrive, années dépassées, souvenirs tassés, mémoire poreuse : on ne sait plus vraiment par où notre ombre est passée ni le sillage qu’elle a pu laisser :

Jean

Si tu savais comme Paris a changé… J’ai l’impression de n’y être plus à ma place, mais je n’ose le dire à personne… sauf à toi… Jour après jour, c’est une lutte contre la solitude… et pourtant, dans certains quartiers, on se retrouve brusquement tel qu’on était… (p.91).

 

Philippe Leuckx

 


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A propos de l'écrivain

Patrick Modiano

 

Fils d'une actrice d'origine flamande et d'un homme d'affaires italien, Patrick Modiano grandit entre Jouy-en-Josas et la Haute-Savoie. Les absences répétées de ses parents et sa scolarité passée en pension le rapprochent de son frère aîné, qui meurt d'une maladie à 10 ans. Cette disparition annonce la fin de l'enfance de l'auteur qui gardera une nostalgie marquée de cette période et dédiera la plupart de ses livres à Rudy. Après avoir fait ses études à Thônes et au lycée Henri-IV de Paris, il décide, son bac en poche, de se consacrer entièrement à l'écriture. Raymond Queneau l'y introduit et sera le témoin de son futur mariage dont naîtront deux filles. C'est en 1967 qu'il publie 'La Place de l'étoile', un premier roman sur l'Occupation couronné du prix Roger Nimier. Après 'La Ronde de nuit' de 1969, il reçoit en 1972 le Grand prix du roman de l'Académie française pour 'Les Boulevards de ceinture'. S'il sort aussi 'Villa triste' et 'Livret de famille' en 1975 et 1977, c'est en 1978 qu'il obtient le prix Goncourt pour 'Rue des boutiques obscures'. Publiant également 'Une jeunesse' et 'De si braves garçons' en 1981 et 1982, le romancier reçoit en 1984 le prix de la fondation Pierre de Monaco pour l'ensemble de son oeuvre. Auteur à la sensibilité écorchée à la tête d'une trentaine d'ouvrages - notamment 'Remise de peine', 'Voyage de noces', 'Chien de printemps', 'Des inconnues', 'Accident nocturne', 'Un pedigree'... -, il publie en 2007 'Dans le café de la jeunesse perdue', roman portant sur le Paris des années 1960. En 2012 sort L’Herbe des nuits chez Gallimard. Patrick Modiano est aujourd'hui reconnu comme l'un des écrivains les plus talentueux de sa génération. Il a par ailleurs signé les scénarios de quelques films, dont Lacombe Lucien, de Louis Malle (1974) et Bon Voyage de Jean-Paul Rappeneau (2003)

Prix NOBEL de littérature 2014

 

(Source Evenement.fr)

 

A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...