Noli me tangere, Andrea Camilleri
Noli me tangere, mai 2018, trad. italien Serge Quadruppani, 144 pages, 16 €
Ecrivain(s): Andréa Camilleri Edition: Métailié
Comment un roman a priori policier peut révéler des fulgurances métaphysiques ?
« Noli me tangere » (Ne me touche pas… ou… Ne me retiens pas) est une locution latine tirée de la vulgate, version latine de la Bible. Elle fait référence à l’épisode pascal de la résurrection lorsque Marie-Madeleine découvre le tombeau vide et un étrange personnage qui s’avère être le Christ. L’expression traduit la parole de Jésus envers Marie-Madeleine. Comment faut-il l’entendre, si l’on veut faire une brève exégèse et sans vouloir offenser les interprètes accrédités ?
Ce « Ne me touche pas » dit : je suis autre, j’ai changé, je ne relève plus des lois physiques de l’humanité. C’est un corps glorieux que Marie-Madeleine ne doit pas retenir, un corps de l’entre-deux, entre la résurrection et l’apothéose, entre outre-tombe et ascension. La formule latine instaure donc une distance entre l’invisible et le visible. Cet épisode a inspiré de nombreux peintres qui ont cherché à saisir ce moment sacré, ainsi Giotto, Fra Angelico, Bronzino, Le Titien, Nicolas Poussin… (pour n’en citer que quelques-uns). Il a inspiré également des théoriciens comme Jean-Luc Nancy et des écrivains. Parmi eux, Andrea Camilleri dans un livre, justement intitulé Noli me tangere.
L’ouvrage d’Andrea Camilleri, scénariste et metteur en scène bien connu en Italie, raconte l’histoire d’une femme Laura qui, semble-t-il, a volontairement disparu. Elle est l’épouse d’un romancier célèbre. On suit donc tout au long du roman les investigations du commissaire Maurizi qui tente de retrouver cette jeune femme et de cerner la personnalité complexe de cette absente qui semble se plaire à laisser des signes, c’est ce que laisse entendre son époux.
Un des intérêts de ce récit est le portrait que le romancier nous brosse de cette femme au halo mystérieux tel un sfumato. Bien entendu, on n’échappe pas à quelques clichés. Cette jeune femme est belle, brillante, séduisante et elle collectionne les amants. Toutefois, il y a quelque chose d’insaisissable dans cette jeune femme. Elle est en proie, de temps à autre, à des crises tourmentées de mélancolie qu’elle appelle le « ghibli » qui l’éloigne des autres. Et, elle a été fascinée, lorsqu’elle fut étudiante, par les fresques de Fra Angelico sur le fameux « Noli me tangere ». Et cet épisode sacré éclaire vers la fin du roman le cheminement de la jeune femme. Elle a opté pour une autre vie moins superficielle, plus spirituelle, celle d’un engagement humanitaire. Le « Noli me tangere » (ne me retiens pas) dit alors le changement qui est le sien, ce point d’inflexion où elle donne un autre sens à sa vie et qu’elle entend conduire seule, loin du mari et des amants insignifiants.
Le livre, nous dit-on, est un « best-seller » en Italie. Acceptons le jugement. En tout cas, il échappe quelque peu à cette dénomination. La conduite du récit nous est présentée comme un dossier, des dialogues, des lettres, des articles de journaux qui tous visent à cerner ce personnage féminin qui reste rétif à toute classification. La conduite chronologique du récit (avec quelques analepses et prolepses) rend la lecture fluide et plaisante, ancrée sur la quête du commissaire Maurizi, finalement bienveillant et celle de l’étrange Laura que l’on découvre petit à petit.
Et c’est le grand mérite du roman que de présenter en creux le profil d’une femme profondément libre, de montrer que chacun d’entre nous peut se réinventer totalement et de suggérer le mystère de l’autre que l’on croit proche et familier.
Charles Duttine
- Vu : 3575