Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, Isabelle Levesque
Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, éd. Le Silence qui roule, avril 2018, 36 pages, 9 €
Ecrivain(s): Isabelle Levesque
Rendre vie et hommage à un grand poète tôt disparu, Salabreuil, né en 1940, décédé en 1970 : tel est le vœu de l’auteure, versée dans la lecture du grand aîné depuis longtemps. Sur le terreau de citations tirées de L’Inespéré (Gallimard, 1969), Isabelle Lévesque – quinze recueils depuis 2010 – donne à Il a neigé sur de l’aurore et à « l’ossuaire d’en haut qui s’écroule » de dignes prolongements, où « l’ardeur est telle/encore », la ferveur et la lucide appréhension d’un univers marqué, chez le poète regretté, du sceau d’un « cri » non entendu, d’amour mal vécu, de l’Absence qui trouve ici à se décliner. À rebours, la neige, le poème, cette flambée de mots à l’adresse de celui qui a « brûlé » ses espérances. Lévesque, page 29, nous dit :
Un poète aimé ne meurt pas. Il renaît dans les mots du poème… il habite ce que nous écrivons à notre tour…
La poète convoque, saganesque, « les bleus de l’âme », multiplie les appositions, joue de l’intime correspondance :
Poids de l’âme infime
aimer souffle, seule voix.
Corps pur, prouesse de plume :
système solaire (p.10).
L’écriture, aérienne, « frôle », la « craie du ciel », perfore le bleu des étoiles, incise, à l’aide de métaphores, « le fantôme » vénéré :
Poète sans nom décrit l’Aimée sans fin
Fulgurante aux faveurs de la nuit…(p.12)
Du petit livre s’élève un chant que les mots heurtent, puisqu’il faut bien relayer le parcours brusque et brusqué d’un poète véritable, que le destin a mangé :
Quelle nuit si pâle
te protège enfin ?
Les pierres seules
s’éloignent gravées
(pas d’oiseau)
Allées si claires
qu’aucune étoile ne fera vœu (p.18)
On dirait qu’Isabelle, voulant approcher le poète en son domaine de neige (le bas), d’étoiles (l’impossible demeure), souhaite jumeler les paradoxes : la négation de l’oiseau, le poids de la pierre, le refuge qui « protège »…
Les lointains du temps ordonnent cette poésie, intemporelle, à la fois respiration en hommage, et concertation d’une écriture entre lignes, ombre et accent solaire ; oui, le « poète revit » d’un souffle, d’une eau même si « elle ne se boit ». La poésie est à ce prix : une solitude, un partage.
Mission accomplie.
Philippe Leuckx
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