Ni bruit ni fureur, Lucien Suel
Ni bruit ni fureur, mars 2017, 176 pages, 16 €
Ecrivain(s): Lucien Suel Edition: La Table Ronde
Pas de bruit ni de fureur mais beaucoup d’empathie pour les mondes enfouis, l’enfance, la Mer du nord, les filles du Nord, les jardins. Les disparus, à la pelle, reçoivent force hommages et mercis.
La langue de Suel offre une diversité stylistique qui donne à ses poèmes marque et personnalité. Ce sont tantôt de très longs poèmes debout, serrés ; ce sont des proses en « semailles » et « narcisses », des « tombeaux » à l’adresse de plusieurs Christophe (Tarkos, Wattel) comme des inventaires prévertiens ; ce sont des inventives litanies poétiques où il se définit « dans la cathédrale de mes os ». Cette langue, prompte à convier des mots rares, des images elliptiques, des descriptions entomologiques et botaniques, renoue avec l’enfance des sensations : « la brouette du maçon », « l’évier blanc émaillé », « la fille du jardinier (qui) récolte les haricots de l’été », les mots picards (muchelot muché), les noms du nord (Wittebecque), les os de Rachel et de tant d’autres.
Sur la laisse de mer, chaque bout de bois, branchage ou planchette, chevron ou bastaing, palette ou cageot, raconte une histoire.
…
Le vent du Nord respire en se tordant
sur le galbe de la planète, terrorise
en octobre le géranium, effarouche en
novembre le chrysanthème, ballotte en
décembre le blé d’hiver…
Le poète serre très serré les notations, les descriptions, les inventaires de toutes sortes, nous plongeant ainsi dans son univers mille fois reconnaissable, avec ses enjambements de vers qui ne supportent ni ponctuation ni halte, embrochant les sentiments, les sensations, les faits, les oiseaux, les jardins.
Mais à cette allégresse des mots enchâssés répond aussi la vague des morts, des croix, des guerres, des tombes, même si « les inscriptions s’effacent. Les noms/ pâlissent et les lignées s’éteignent/ Les lettres se détachent tombent une/ à une ».
Ce recueil foisonne, se développe en branches et branchies, sème à tout va, prend le temps pour essaimer ses lectures. Il est bien difficile de l’épuiser tant ses rameaux appellent sens et voies.
Un très beau livre, tissé de mémoire dense et de langue inventive et souple.
Philippe Leuckx
- Vu : 2816