Né sous les coups, Martyn Waites
Né sous les coups (born under punches) 21 août 2013. trad de l’anglais Alexis Nolent. 459 p 22€
Ecrivain(s): Martyn Waites Edition: Rivages/Thriller
Si vous n’avez pas une grande sympathie pour « la dame de fer », Margaret Thatcher, la lecture de ce livre vous la fera détester à jamais. L’action de ce roman se situe alternativement dans deux époques : « maintenant » et « avant ». « Avant » c’est 1984 avec en fond d’écran permanent et souvent même au cœur de l’action, la dernière grande grève ouvrière en Angleterre, la grève des mineurs du printemps 84, écrasée par la répression du gouvernement Thatcher. 1984, l’Angleterre bascule dans une nouvelle ère, sinistre. Comment ne pas évoquer, au passage, le 1984 de George Orwell ?
« Les temps modernes, tels que nous les connaissons, ont débuté le lundi 28 mai 1984. (…) C’est ce jour-là que notre pays a changé pour toujours, que la bombe à retardement a été enclenchée et le compte à rebours lancé. Et où ce singulier événement a-t-il eu lieu ? A Orgreave, près de Rotherham, dans le South Yorkshire. »
Ce jour-là, et Martyn Waites nous le fera vivre au plus près, la police aux ordres du gouvernement Thatcher écrase la dernière manifestation des mineurs dans le sang. C’est une certaine idée de l’Angleterre qui meurt, celle des trade unions, des confréries, des camarades, des solidarités dans les quartiers. « Maintenant », c’est autre chose :
« La ville était maintenant une sorte de truc rafistolé, moribond, mais pas encore tout à fait immobile. Une ville sans industrie ni futur. Postgrève. Postindustrielle. Posttout. »
C’est dans ce décor d’une Angleterre sans âme, livrée au chômage, à la pauvreté, à la misère morale, que le théâtre de Coldwell, ex-cité minière du nord va servir de support à une histoire sombre, haletante, de haine, de vengeance, d’amours perdues et retrouvées. Les drames de la vie quotidienne viennent se sertir dans l’écrin de l’histoire désespérée d’une région, d’un pays. Dans la tourmente de la disparition d’un monde.
Martyn Waites écrit avec un talent naturel le désespoir. Le gris sur le gris. Louise a aimé follement, joyeusement, Tony. Et la vie est passée, ailleurs, avec un autre.
« « Tu as fini ? »
Keith fit signe que oui.
« Alors je vais chercher le pudding. »
Elle se leva, rassembla les assiettes et alla dans la cuisine. Là, seule, elle posa les assiettes, s’adossa contre le mur, la respiration rauque et saccadée, obligea les larmes qui s’accumulaient dans ses yeux à ne pas couler.
« Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! » murmura-t-elle pour elle-même, en forme de supplique et de prière. Pour toute sa vie, pour le vide qu’elle ressentait, son amour. « Oh mon Dieu ! »
Elle chassa les larmes de ses yeux ; les turbulences de son cœur. Elle prit le plat avec le pudding, retourna dans la salle à manger en espérant, et ce n’était pas la première fois, que son mari était mort. »
L’écriture de Waites est à l’image du monde qu’il raconte : volontairement morne, souvent répétitive, toujours désespérée. Ses personnages sont attachants, pleins de vie malgré le malheur, pleins d’espoir, courant après le rachat ou un bonheur manqué mais encore possible. Alors on va aimer Tony, Louise, Stephen Larkin comme les derniers témoins/acteurs d’un épisode clé et mortifère de l’histoire sociale anglaise. On les aime autant qu’on déteste Margaret Thatcher à la fin de ce livre. Définitivement.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
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