Né du limon, et Dérives, Claude Louis-Combet, Elisabeth Prouvost (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Né du limon, et Dérives, Fata Morgana (2017 et 2014)
Enfer ou paradis qu’importe
Après Magdeleine à corps et à Christ chez le même éditeur, le « couple » que forment en littérature Claude Louis-Combet et la photographe Elizabeth Prouvost poursuit sa quête de l’indicible et des gouffres du corps.
Au Golgotha d’hier comme dans les bouges d’aujourd’hui, les deux créateurs insultent l’ordonnateur du guet-apens céleste. Par ce dernier, il n’y a pas de pécheresse qui soit sauvée, il n’y a que des vautours migrant des cieux de Galilée, de Judée, au bordel où officient les Edwarda en ordinatrices de coïts cérémoniels.
Les deux compagnons de l’obscur allongent des chevelures là où les corps sont en gésine. La plaie et le couteau sont laissés dans l’ombre d’un grand vide noir que Marie-Madeleine bariole de son sang. Et le poète invente des maisons closes refuges où s’entendent les bruissements d’amants qui ne cherchent pas forcément à regagner le ciel – qu’il soit de lit ou d’azur.
Il s’agit d’une certaine manière de savoir que faire avec l’Absence et de se distraire de ce dont on ne se distrait pas, sinon à s’enfoncer tout entier dans le psaume de Edwarda ou Marie-Madeleine, Eve des Eve. Elles affirment leur déité face à celui qui les a dissipées en son Visage divin. Et soudain la lune luit sur l’hécatombe les certitudes inventées par les saints.
Dans la poésie de Louis-Combet, dans les images à l’obscure clarté de la photographe, vacille ce qui n’appartient plus à l’espace sinon en convulsions du haut mal impérial. La sainte honnie comme la putain traverse la mort, les fesses nues ou voilée, le sexe ouvert pour satisfaire Dieu le Fils ou un chauffeur de taxi. Chaque fornication est l’ultime accouplement avec le cadavre de Dieu. Mais son orgasme précipite le crépuscule dans l’aube où les femmes ne seraient plus des drôlesses aux pieds nus.
Chez Prouvost comme chez Louis-Combet, l’être est soumis au supplice, à la joie sans réserve, il est ouvert et mourant, douloureux et heureux dans sa lumière noire. Mais cette lumière à sa manière est divine là où la bouche béante se tord et profère un immense alléluia nocturne sous des portes cochères.
Les photos d’Élizabeth Prouvost sont troubles. Les textes du poète tout autant. Ce trouble n’est en soi ni une qualité ni un défaut – mais une donnée première. Tâchant de regarder ces photos déroutantes, l’œil a du mal à accommoder, à faire la mise au point comme les récits de l’auteur n’ont rien à voir avec le flou de l’érotisme.
De manière non redondante, les deux créateurs sortent d’un âge de l’innocence fantasmé. Le flouté est le résultat d’une manipulation qui ne cherche pas à leurrer. Au contraire. Il est toujours proche du trouble qui se dessaisit de nos certitudes, de notre sol physique et mental. Il ronge. Nul ne peut y échapper. Il y a là du Francis Bacon, du Gerhard Richter, du Bataille, du Dante. Car les figures troubles du désir ne sont en rien nettoyées, brossées mais sauvagement secouées.
Jean-Paul Gavard-Perret
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