Najib Bendaoud (1953-2022) Il est mort le poète (par Mustapha Saha)
Najib Bendaoud, professeur à l’école normale supérieure de Tétouan, et avant tout poète, est mort comme meurent les poètes, dans une fulgurance cardiaque. La mort, énigme des énigmes, sa compagne indomptable, sa muse, sa lyre, sa déesse, il la chante pour l’éternité.
Yeux d’amande
Par Najib Bendaoud
Amour terrestre
Combien tu es affreusement éphémère
Combien tu es un passant
Combien tu es ignoblement fragile
J’aime aimer l’éternel
La mort est ma vraie femme réelle
J’adore ses seins bondissants
Ses fruits défendus
Sa danse intestinale
Je n’ai pas peur de toi amour prohibée
Belle femme aux yeux d’amande !
Je me résigne à ta folie injuste
À tes voyages corrompus
À tes jeux inlassables
A tes caprices anodins
A tous tes rouages infernaux
Enfin, je m’offre à ton destin
J’abdique toutes mes foires
Je renonce à ton ventre plat
A tes jolies fesses abondantes
A tes jambes affolantes
A tout toi belle muse
Belle peau succulente
Ma mort s’appelle ton sourire
Ma mort est tes jolies mains caressantes
Mon corps froid de supplices
Mon âme troublée de questions
Mes pieds fatigués
Harassés
De te poursuivre partout
Même au fond de tes gouffres
Même au fond de tes angoisses
Même au fond de ton petit corps
Svelte et étonnant
Jolie fleur
Pour toi mes mots chantent ton nom
Mes yeux d’amande.
Que dire ? La mort, séraphique renégate, divine scélérate, diabolique tentatrice, perfide séductrice, sournoise maîtresse, satanique traîtresse, monstrueuse magicienne, cynique statisticienne, trompeuse marraine, misérable souveraine. Répondre au poème par le poème et se taire.
La descente au tombeau
Par Mustapha Saha
Dans la crypte éclairée d’un modeste flambeau
La stèle consacre l’éternelle défaite
Et cette âme autrefois conquérante du beau
Se fige maintenant dans l’amnésie parfaite
Ici la méduse pétrifie l’arrivant
Qu’il fut prophète des Saintes Ecritures
Ou génie célébré dans la cour des savants
Ne subsiste en dépôt qu’une ingrate ossature
Aucun autre constat que l’échec des devins
Nulle trace d’esprit délivré du charnel
La pensée foudroyée dans son élan divin
S’évapore au contact du vide originel
Quand la tombe engloutit le corps et sa mémoire
Il n’est point de soleil dans le verbe ou l’oracle
L’enchanteur empyrée promis dans les grimoires
Ne distrait qu’amateurs d’improbables miracles
Au fond de cet asile imprégné de silence
S’abolit le savoir de tous les livres lus
Le grand sommeil dissout l’être et son insolence
L’énigme dévoile son ignorance absolue
Que peut la complainte nourrie de mille fables
La muse a disparu dans le miroir sans tain
Au bout du voyage gouverne l’ineffable
Les mots se dérobent la chandelle s’éteint
Mustapha Saha
Œuvre poétique de Najib Bendaoud : Les Seins pénibles (éd. El Fikr, 2011), Hanan (éd. Epingle à nourrice, 2013), Les Ruelles de mon songe (éd. L’Apporte-plume, 2015), Mira (éd. Slaiki, 2017).
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