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N’appelle pas à la maison, Carlos Zanón

Ecrit par Marc Ossorguine 29.04.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Asphalte éditions, Roman

N’appelle pas à la maison (No llames a casa), avril 2014, traduit de l’espagnol par Adrien Bagarry, 284 pages, 22 €

Ecrivain(s): Carlos Zanon Edition: Asphalte éditions

N’appelle pas à la maison, Carlos Zanón

 

 

L’important dans ce roman de Carlos Zanón, ce n’est pas tant la ville, « ce désert sans foi ni loi qu’est Barcelone », mais ce que vivent ceux qui y vivent ou y survivent, dans un réel parfois irréel, peuplé de rêves et de souvenirs. Qu’il s’agisse de Cristian, Raquel ou Bruno, de Max, Merche ou Gero, ils cherchent tous quelque chose, quelque chose à fuir ou à atteindre. « A les écouter, ils ont tous connu un passé mythique, merveilleux, et seules la malchance, la méchanceté et la drogue les ont conduits là où ils en sont. Tout est mensonge, tout est vérité ». Cela vaut pour les premiers qui squattent où ils peuvent et vivent de petits chantages, flambant leurs bénéfices en grands seigneurs, mais aussi pour les seconds qui vivent déchirés entre la tentation d’une vie tiède et bien réglée et le romantisme possessif de leurs rêves d’amour et d’absolu.

Alors qu’ils semblent ne rien avoir de commun, vivant dans des milieux qui ne se côtoient guère, Carlos Zanón nous fait découvrir qu’ils sont au bout du compte agis par les même moteurs, les mêmes motivations et pulsions d’amour, de sexe, d’argent, de pouvoir sur l’autre et, surtout, sur sa propre vie. Les mêmes blessures les démangent, même si la façon de les dire et de régler les problèmes rencontrés ne sont pas du même style. Encore que… les similitudes de leurs désirs et de leur stratégies vont finir par se rencontrer, se nouer de plus en plus fermement, de plus en plus irrémédiablement. C’est aussi sans doute là que réside l’originalité de N’appelle pas à la maison qui finit à peu près au moment où bien des romans noirs commenceraient : au point où chacun trouve l’issue qui n’existe pas.

« – Les choses ne sont pas si simples que ça.

– Mais si elles le sont. Le problème c’est ça : les choses sont toujours telles qu’elles sont. Mais on ne les aime pas ainsi, on leur fait faire des tours et des détours. J’ai assez traîné avec des soulards et des idiots pour le savoir. Quand il n’y a pas d’issue, il n’y en a pas i punt !

– I punt ! »

Une écriture qui ne se perd pas en détours inutiles et vise à l’efficacité narrative tout en sachant prendre le temps de nous faire découvrir les personnages et leur monde en n’oubliant pas d’armer, page après page, le ressort de son scénario, tendu vers la chute brutale, l’accident devenu inévitable. Les personnages de Zanon et leurs trajectoires absurdes, mais non dénuées de logique, ne sont pas sans faire penser aux personnages qui peuplent certains films des frères Cohen, pas forcément attachants ou sympathiques, mais terriblement humains, y compris dans la façon dont ils doivent renoncer à une bonne part de leur humanité, soumis à des pulsions qu’ils ne savent contrôler ou à des réalités auxquelles ils ont renoncé à échapper.

Carlos Zanón compte parmi les nouvelles générations d’auteurs barcelonais, poursuivant la tradition littéraire de ceux qui ont fait de la capitale catalane un haut lieu du noir contemporain. Il écrit en castillan et a commencé par publier de la poésie, à la fin des années 80. Après avoir été parolier pour des groupes musicaux, la thématique de la musique a occupé son œuvre de romancier et journaliste. C’est en 2008 qu’il inaugure sa carrière dans le roman noir, tout en menant aussi une activité de scénariste. Quatre romans à ce jour, dont deux traduits en français par les éditions Asphalte : Nadie ama a un hombre bueno (2008, pas traduit) ; Tarde, mal y nunca (2009, Soudain trop tard) ; No llames a casa (2012, N’appelle pas à la maison) ; et Yo fui Johnny Thunders (2014, pas encore traduit). Du dernier, on nous a déjà dit le plus grand bien mais nous ne l’avons pas encore découvert. Il faut également ajouter que Carlos Zanón poursuit en parallèle son activité poétique (dernier recueil en date :Rock & Roll).

 

Marc Ossorguine

 


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A propos de l'écrivain

Carlos Zanon

 

Carlos Zanón, né en 1966 à Barcelone, est poète, parolier, critique littéraire et scénariste. Il fait une première incursion dans le roman noir avec Soudain trop tard.

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr