N’appartenir, Karim Miské
N’appartenir, mai 2015, 83 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Karim Miské Edition: Viviane HamyN’appartenir est un livre très autobiographique, mais en même temps il touche à des questions qui nous concernent tous plus ou moins dans un monde mondialisé et inégalitaire, où chacun doit se débrouiller pour trouver sa place et résoudre une partie des paradoxes qui l’entourent. La philosophie et la sociologie critiques attirent notre attention depuis un moment sur ce phénomène : dans nos sociétés inégalitaires et mondialisées, la question de la reconnaissance, et donc de l’identité et de l’appartenance, sont devenues des questions centrales pour la plupart de nos sociétés. Le métissage, quant à lui n’est pas une question bien neuve, et le fait qu’elle s’impose de plus en plus comme la norme, l’ordinaire de chacun d’entre nous, ne la rend ni plus simple ni plus facile à vivre, même dans ce même « monde mondialisé ». Surtout dans ce monde où la réalité et la peur de l’ouverture génèrent aussi les plus redoutables fermetures.
Il faut dire que les paradoxes du métissage, Karim Miské les a connus avec une certaine radicalité. Un père mauritanien, souvent absent, diplomate tiers-mondiste et anticolonialiste, puis sympathisant déclaré du Front Polisario, et une mère française issue de la France que l’on dit profonde, catholique, mais militante communiste jusqu’au bout des ongles qui fera découvrir les « merveilles » du communisme albanais à son fils.
Karim Miské revisite son passé et tous les paradoxes, les contradictions qui l’ont mis en permanence sur le fil, le conduisant à finalement renoncer, et même à se méfier de toute appartenance : raciale, culturelle, religieuse, politique… Il le fait avec une certaine colère transformée par l’humour et le sens de la dérision, par une adresse directe au lecteur, à la fois très écrite et très orale.
A la lecture, on rit, on sourit, on apprend aussi, avec un sentiment de complicité qui peut donner une franche envie de poursuivre la discussion avec l’auteur. On rit lorsqu’il nous raconte sa découverte du pays de ses ancêtres paternels (récit qu’il avait déjà fait dans un numéro de la revue Autrement consacré au retour) où l’adolescent athée doit faire preuve de son observance des rites musulmans, où le jeune révolutionnaire se découvre esclavagiste malgré lui. Nous sourions des gaffes de l’enfant qui pose les questions qu’il ne faut pas, en découvrant, en privilégié accueilli, la nomenklatura locale, la réalité du paradis albanais d’Enver Hoxha. En même temps, cet humour bienveillant est une forme d’élégance pour parler de questions graves, qui pourraient autant nous désespérer que nous mettre en colère, nous révolter.
On descend tous de longues lignées de traumatisés qui s’en remettent plus ou moins. Tous.
Heureusement, il y a la littérature. Et la musique. De George Orwell à Patti Smith. D’Hannah Arendt aux Sex Pistols et à Johnny Rotten.
Oui je sais, ça en fait des citations, mais c’est ça qui me permet de vivre au jour le jour, depuis toujours. Les mots, les pensées des autres qui ont regardé le monde avant moi, et continuent.
Une belle raison, pour nous lecteurs, de lire Karim Miské, cet écrivain documentariste qui continue de regarder le monde.
Récompensé en 2012 pour Arab Jazz, Karim Miské (Grand Prix de la Littérature Policière) a commencé sa carrière comme documentariste et sa filmographie est à ce jour plus longue que sa bibliographie, avec notamment la série documentaire Juifs et musulmans, diffusée sur Arte en 2013, récompensée elle aussi d’un prix. Nous étions de ceux qui avaient apprécié Arab Jazz et qui attendaient avec curiosité la suite, elle nous surprend mais ne nous déçoit certainement pas. Un auteur décidément à suivre !
Marc Ossorguine
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