Mourir ne me suffit pas, Pascal Boulanger
Mourir ne me suffit pas, éd. Corlevour, Revue Nunc, juin 2016, préface Jean-Pierre Lemaire, 101 pages, 15 €
Ecrivain(s): Pascal Boulanger
« Je regarde autour de moi / les vases se brisent / Dès lors j’ouvre les yeux / et le jardin » (Jardin).
« Sur la falaise / la maison est prise de vertige / Quand on me fermera les yeux sur le vent / il ne faudra pas pleurer / mais dans la rosée de l’herbe / célébrer mes noces aux vitraux du ciel » (Rosée).
Mourir ne me suffit pas est un recueil de libres poèmes, près d’une centaine, habité de cette liberté libre que l’auteur fréquente. Tout est net et précis dans ce livre traversé d’éclairs – Quand je marche je m’appuie sur l’orage, Derrière le monde / les visages que je croise s’enflamment – et il y a de l’électricité dans la trame des poèmes de Pascal Boulanger. La vivacité de sa phrase, le juste mot, la suspension, l’art de voir et de bien voir ce qui défile sous ses yeux, les visions réelles ou imaginaires, éphémères ou persistantes, la poésie romanesque de l’écrivain s’en saisit et offre au lecteur ces frémissements. Et si la mort rode, il convient de ne pas se laisser impressionner, et d’un trait de phrases s’en défaire ou pour le moins la mettre en suspension.
« C’est une dentelle de mouettes / qui console la mer » (Lumière).
« Le feu du ciel lance un caillou / & c’est un jardin sur terre qui se construit » (Mouvement).
« Parfois le ciel s’étendait / à ras de terre / des dentelles de musique / s’avançaient sur des terrasses » (Premier raisins).
Mourir ne me suffit pas est un beau titre, rien d’ailleurs ne suffit à l’auteur, sauf ce qu’il voit et vit, sauf ce qu’il écrit et ce qu’il écrira, les tensions, les torsions du temps et de la nature, les baisers volés, la neige, les roses trémières, les failles et les feuilles, il s’en saisit et nous les livre comme une évidence. Ecrire d’ailleurs semble une évidence pour Pascal Boulanger, un exercice spirituel – J’ai besoin d’une lumière grise / loin des chiens qui aboient / pour m’habituer à la mort – une façon d’être au monde, en se demandant à chaque instant, si un baiser prolongera-t-il mon souffle ?
« Pendant la vertigineuse abréviation / quand toute mon existence défilera / l’inachevé survivra-t-il ? » (L’inachevé).
« De sable en sable / un chemin foisonne de sommeils / & sous l’ombrage des platanes / la porte sans porte est franchie » (Abondance).
L’écrivain le pense, le poète est toujours le dramaturge, et non le penseur, de l’idée, et Pascal Boulanger applique sa remarque à la lettre. Si autour de lui, les vases se brisent, si des ruisseaux baignent ses yeux, si les eaux encerclent le monde, si le temps (qui) s’efface vidé de son soleil, l’écrivain, le poète, est vivant – je suis vivant et vous êtes morts –, il écrit et rend présent ce qui est absent, il flirte avec le divin et les hautes flammes, il se confronte à des tremblements et des doutes, les met en lumière, les nomme, et les nommer revient à s’en défaire. S’il chute, il se relève, s’il tombe, il renaît, s’il s’endort, il se réveille, plus vivant que jamais, survivant aux secousses telluriques qui le font trembler. L’art poétique est ici un art littéral, il suit le chemin de la vie, lettre à lettre. Mourir ne me suffit pas, ou la beauté du geste, sa naturelle évidence, tout y est affiné, l’idée se glisse dans la peau du mouvement de la phrase. Poésie de verdad, comme l’on dit en espagnol pour une faena, poésie de vérité, d’engagement total, sans artifice, poésie de consolation.
Philippe Chauché
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