Morceaux cassés d’une chose, Oscar Coop-Phane (par Arnaud Genon)
Morceaux cassés d’une chose, Oscar Coop-Phane, janvier 2020, 160 pages, 16€50
Edition: Grasset
Rousseau en miettes
La vie tombe, se brise, tout s’écroule. Il reste alors les « morceaux cassés » d’un passé, d’une mémoire, d’une existence (cette courte « chose » – l’auteur a trente-deux ans) étalés sur le sol. On pourrait vouloir tout réparer, reconstruire à l’identique, reconstituer dans l’ordre le flot du vécu, lui donner un sens pour se donner un but. Oscar Coop-Phane contemple lui le désastre et pique dans cette « matière romanesque » qu’est la vie selon les bons vouloirs du vent des réminiscences et de là où il porte sa plume. Ainsi, dans ces Morceaux cassés d’une chose, pas de chronologie, les instants de vie semblent écrits comme ils resurgissent à la mémoire. Peu importe l’ordre, tant qu’on a l’ivresse.
Cette vie de l’auteur-narrateur est celle d’un écrivain qui aime les femmes, la drogue, qui écrit dans les bars et y rencontre des personnages étranges, ceux qui peuplent les bistrots et y réinventent leur vie. C’est l’histoire d’un jeune garçon qui très tôt s’émancipe de ses parents divorcés pour faire des conneries, pour manger la vie à pleine dents, écrire des romans pendant ses cours, fumer des joints, avaler quelques ecstasy, sniffer quelques lignes de coke, dealer, ou découvrir, quelques années plus tard, à Berlin, des substances aux noms d’une poésie nocturne et floue : MDMA, GHB, Kéta… Une vie ponctuée et nourrie par le sexe, les baises à outrance en boîte de nuit, les petits boulots alimentaires, et l’amour, le visage de Pauline avec qui il a une fille, Emmanuelle. Une vie d’écrivain qui doit lutter pour le devenir pleinement, c’est-à-dire pour le devenir aux yeux des autres, pour le devenir à ses propres yeux quand toute sa vie n’a été pourtant consacrée qu’à écrire. Un écrivain qui, encore aujourd’hui, est aussi barman…
Il y a bien sûr ici une posture des plus romantiques (que l’auteur revendique lui-même). Le mythe de l’écrivain traverse cette vie consacrée à l’écriture. Oscar Coop-Phane nous fait penser, dans l’évocation de ses débauches, de sa décadence berlinoise, à l’Octave de Musset dans Les Caprices de Marianne, il y a quelque chose de désespéré, quelque chose du funambule, du « danseur de corde, en brodequins d'argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre » (Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne, Acte I, scène 1,1833). Mais la posture n’est jamais une pose. Pourquoi ne serait-on pas romantique aujourd’hui encore ? Quiconque a beaucoup lu ne peut-être qu’habité par les figures littéraires du passé. Il n’y a pas à en rougir.
Le grand intérêt de cette vie vécue est qu’elle s’écrit comme un roman et qu’Oscar Coop-Phane fait de lui un véritable personnage. L’autobiographie ainsi cassée se fait autofiction accomplie qui cherche moins à exhumer le passé de l’auteur-narrateur qu’à l’anéantir, en bon romantique qu’il est : « J’écris souvent pour cela, pouvoir brûler une bonne fois ce que j’ai vécu ». On sort de cette « chose » touché par une écriture juste, pétrie par la vie et la littérature et déjà si singulière. Il n’y a pas à douter : Oscar Coop-Phane est un écrivain.
Arnaud Genon
Oscar Coop-Phane est né en 1988. Il a publié trois romans aux éditions Finitude (Zénith-Hôtel, Prix de Flore 2012, Demain Berlin en 2013, et Octobre en 2014) et deux livres chez Grasset, Mâcher la poussière (2017) et Le Procès du cochon (2018).
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