Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Pierre Bost (par Catherine Dutigny)
Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Pierre Bost, Gallimard L’Imaginaire Poche, août 2016, 103 pages, 8 €
Edition: Gallimard
L’adieu à l’écriture romanesque :
Lorsque ce roman de Pierre Bost fut publié par les Éditions Gallimard en 1945, cela faisait plus d’une dizaine d’années que l’écrivain n’avait pas écrit de roman et que depuis 1940, il se consacrait essentiellement à l’écriture de dialogues puis de scénarios pour le cinéma en collaboration à partir de 1943 avec Jean Aurenche. Pourtant il fut dans l’entre-deux guerres un romancier précoce – son premier roman, Hercule et mademoiselle, fut publié alors qu’il n’avait que vingt-trois ans – très apprécié de ses contemporains et fort remarqué de Gallimard dont il deviendra un lecteur de manuscrits. En écrivant Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Pierre Bost, à l’évidence, savait qu’il faisait ses adieux à la littérature et l’on ne peut lire cet ouvrage sans avoir en permanence à l’esprit qu’il s’agissait pour lui d’une sorte de petit testament littéraire, comme l’analyse et le souligne avec sagacité François Ouellet dans la revue littéraire Nuit blanche.
L’explorateur des âmes, l’écrivain des non-dits et du for intérieur :
Dans un contexte presque théâtral (unité de temps, unité de lieu), Monsieur Ladmiral va bientôt mourir raconte un dimanche d’été bien ordinaire, celui d’un vieil homme veuf et solitaire, peintre fort académique portant la rosette, qui eut sa période de gloire et qui reçoit, comme tous les dimanches dans sa maison de campagne, la visite de son fils, Gonzague-Edouard, de sa bru et de ses trois petits-enfants. Un rituel immuable préside à chaque instant de la journée, de l’accueil à la gare, au retour à la gare, en passant par les repas préparés par Mercédès sa dévouée mais impertinente domestique, la sieste, le goûter et les discussions en apparence anodines. Un seul événement viendra perturber l’ordonnancement rigide de la journée : l’irruption inattendue de la fille de Monsieur Ladmiral, Irène, qui s’invite aux agapes.
Monsieur Ladmiral se sent vieillir, il a 76 ans et le trajet jusqu’à la gare s’allonge inexorablement. S’il en convient aisément en son for intérieur, rien ne l’exaspère plus que les remarques de sa domestique en ce sens, ou l’empressement de son fils à le soulager quand le souffle lui manque. Monsieur Ladmiral ne peint presque plus. Si son orgueil l’assure qu’il a été un bon peintre, un bon élève studieux et respectueux, en son for intérieur il doit reconnaître ses insuffisances, son manque d’originalité qui l’ont éloigné de tous les courants picturaux ayant bouleversé la fin du XIXe siècle (le roman non daté peut se situer dans les années 20 à 30). « Et puis, à mesure que j’apprenais, que j’imitais, que j’écoutais, comme j’étais très doué, le métier entrait, et je me suis aperçu un beau jour qu’il avait pris toute la place. Cette fameuse originalité, qui doit récompenser à la fin celui qui a su d’abord se plier aux règles, je ne la voyais toujours pas venir », p.23. Mais garde à qui lui en ferait la remarque !
Or justement, de ses deux enfants, l’un, Gonzague, lui voue un dévouement sans fin et idolâtre le père et l’œuvre, l’autre, Irène, se moque de sa peinture et l’appelle Maître avec un forte dose d’ironie. Le premier est le double du père, tant sur le plan physique que sur le plan comportemental, la seconde est en rupture totale et revendique une liberté de choix, de goûts qui à ce point outrés semblent être en grande partie guidés par une rébellion contre l’emprise paternelle. Les échanges verbaux entre les deux enfants sont acerbes, remplis de sous-entendus comme mus par une forme de compétition à l’égard du père ; ils jouent au jeu dangereux de celui qui emportera le plus d’attention et d’amour paternel. Quant à Monsieur Ladmiral, s’il les aime assurément c’est également pour des raisons fort opposées et parfois limitatives. Gonzague lui ressemble trop, avec son manque d’ambition, d’originalité et sa pusillanimité. Il l’agace, car ce fils lui tend un miroir où se reflètent ses principaux défauts. Il l’aime pourtant car en venant tous les dimanches avec sa femme et ses enfants, il comble sa solitude, et ayant abandonné la peinture où il semblait plutôt doué, Gonzague ne risque pas de lui faire ombrage. Il le pense « avec la gêne un peu honteuse de s’être donné un rival ». Quant à Irène qui « commerce » et qui a un amant, c’est-à-dire tout ce que Monsieur Ladmiral est censé détester car à l’opposé de sa conception profonde de la morale et de la bienséance, il succombe à son charme, à sa désinvolture et à tout ce qu’elle représente de liberté et de modernité quand lui-même s’y refuse. « Il était parfaitement sûr qu’Irène avait un amant, qu’elle ne le lui dirait jamais, qu’il ne l’interrogerait jamais et qu’ils avaient bien raison de mentir tous les deux », p.88.
Et ainsi, par petites touches successives, mêlant dans la narration les souvenirs des protagonistes, les pensées tues et les dialogues vifs, les moments de tendresse et de détestation larvée, l’analyse sans concession mais aussi souvent pleine d’humour des comportements, Pierre Bost remplit à saturation cette journée « banale » et crée une peinture magistrale de l’intime où l’introspection s’offre une place de choix.
La postérité grâce au cinéma :
Si Pierre Bost est aujourd’hui reconnu comme ayant été un très grand scénariste – on lui doit en collaboration avec Pierre Aurenche des dizaines de films devenus des chefs-d’œuvre du cinéma français – ce n’est qu’après sa mort que Bertrand Tavernier adaptera et mettra en scène en 1984 Monsieur Ladmiral va bientôt mourir sous le titre Un dimanche à la campagne. Un film primé et césarisé. Le cinéaste tout en restant fidèle au livre s’autorisera quelques ajouts comme la scène de la guinguette entre le vieux peintre et sa fille Irène et des flash-backs évoquant l’épouse décédée de Monsieur Ladmiral avec une sollicitude dont l’écrivain n’avait fait preuve dans aucune des pages du roman. Pierre Bost aurait-il aimé cette adaptation ? Impossible bien sûr de répondre à sa place. Le livre est sans doute plus complexe, plus caustique, plus riche en émotions diverses que le film extrêmement bien réalisé et qui laisse le souvenir d’une image très soignée.
A lire donc et à voir.
Catherine Dutigny
Pierre Bost, écrivain et scénariste français né à Lasalle le 5 septembre 1901, mort à Paris le 6 décembre 1975, utilisa jusqu’en 1945 le pseudonyme « Vivarais ». Fils d’un pasteur, il passe son enfance au Havre. Élève au lycée Henri-IV avec Alain, il rate l’agrégation. Romancier, journaliste et auteur dramatique français, Pierre Bost débute au théâtre du Vieux-Colombier avec une comédie, L’Imbécile, puis se tourne vers le roman. Il écrit plusieurs ouvrages, publiés par Gallimard. Au début des années 1940, il devient scénariste et écrit un grand nombre de films, souvent avec son complice Jean Aurenche. Beaucoup restent célèbres comme Le Diable au corps, La Traversée de Paris, La Jument verte, etc.
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