Millénium 1, les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Stieg Larsson
Millénium 1. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (Män som hatar kvinnor, 2005), traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, Babel Noir, 710 p. 11,50 €
Ecrivain(s): Stieg Larsson Edition: Babel (Actes Sud)Après la bataille.
La saga Millénium a remporté un succès colossal. A un moment, tout le monde semblait la lire ou l’avoir lue, il devenait presque difficile de résister à la déferlante. Le livre était de toutes les conversations. Il y avait ceux qui l’avaient lu et les autres.
Les autres…
Certains, qui lisaient là leur seul livre de l’année, ne comprenaient pas qu’on ne puisse pas avoir déjà dévoré cette formidable aventure littéraire. Il nous manquait quelque chose à nous qui n’avions pas encore succombé.
Mais parfois on se méfie. Pas du succès. Ce n’est pas parce qu’un livre rencontre un tel engouement qu’il est nécessairement mauvais (comme peuvent le prétendre certains pour qui la confidentialité est gage de qualité). Mais on se souvient du précédent Da Vinci Code.
Succès extraordinaire pour un livre écrit à la hache, par un bûcheron mystique, truffé d’invraisemblances (et là, il n’est même pas question des secrets sur la vie du Christ, sa descendance, etc., mais simplement de l’intrigue elle-même, de ses rebondissements tirés par les cheveux, de ses personnages flirtant plus qu’à leur tour avec le grotesque). C’en devenait navrant de bêtise. Et finalement, on essaye Millénium. Pourquoi pas, après tout. Il y a peut-être quelque chose. On pourra dire aussi qu’on l’a lu, même si ça, ce n’est pas une bonne raison. En plus, David Fincher va en faire un film. Da-Vid-Fin-Cher. Le réalisateur de Fight Club, Seven, Zodiac ou The Social Network
Alors, qu’est-ce que ça donne ?
Le style ? Certes, Stieg Larsson n’est pas Julien Gracq, mais beaucoup d’auteurs ne sont pas Julien Gracq. Et Stieg Larsson n’est pas non plus Paul-Loup Sulitzer ou un tâcheron incapable d’aligner deux phrases correctes. L’écriture est propre et limpide, sans doute due à la profession de journaliste qu’exerçait l’auteur. Il n’y a rien de bluffant, certes, mais rien non plus d’affligeant.
Et l’histoire ? Sur la forme, elle aurait mérité d’être plus courte, plus resserrée. On ne peut s’empêcher de penser que l’auteur, décédé juste après avoir remis ses manuscrits à son éditeur, n’a pas eu le temps de procéder à quelques coupes salvatrices. Le premier tome, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes met ainsi du temps à démarrer. Ce n’est pas forcément inintéressant, mais prendre 100 pages pour raconter ce qui peut l’être en 50 ou en 30, c’est ce qu’on appelle des longueurs…
Sur le fond, cette traque au tueur n’a rien de franchement original. Combien a-t-on déjà lu de livres de la sorte ? Combien a-t-on déjà vu de films avec secrets de famille enfouis qui ressurgissent, passé nazi qui ne passe pas ?
Et pourtant ça marche. Millenium est un vrai plaisir de lecture.
Pourquoi ? Il y a d’abord la construction. Stieg Larsson est un habile conteur qui sait faire monter la tension, amener les rebondissements et les coups de théâtre, faire languir le lecteur en ne lui révélant pas tout de suite certains éléments.
En fait, il se contente d’appliquer à peu près tous les ingrédients qui font qu’un roman policier accroche… Donc il y a encore autre chose qui fait la différence : les personnages.
Pour emprunter un terme cinématographique, Millénium est un buddy-movie. Les héros sont deux personnes a priori antinomiques, mais qui vont être amenées à se rencontrer et collaborer. Le premier, Mikael Blomkvist, est journaliste et vient de perdre un procès en diffamation contre un magnat de l’industrie. Il n’a pas véritablement cherché à se défendre quand il a été condamné à trois ans de prison. Il sait qu’il a fauté, mais il sait aussi que l’homme qu’il poursuivait, Wennerström, est une crapule et qu’il ne disposait pas de toutes les informations pour le faire tomber. Blomkvist est le prototype du héros parfait. Intelligent, séducteur, droit, mais avec des failles, heureusement pas trop graves, elles ne le rendent que plus humain.
Il se retrouve contacté par un magnat de l’industrie, Henrik Vanger, qui habite sur une île, et qui le charge d’enquêter sur la disparition de sa nièce, Harriet Vanger, survenue dans d’étranges circonstances près de quarante ans plus tôt. L’homme est certain qu’elle a été assassinée par l’un des membres de sa famille.
« C’est un mystère de la chambre close à l’échelle d’une île. Et rien dans l’enquête ne semble suivre la logique normale. Toutes les questions restent sans réponse, tous les indices mènent à un cul-de-sac ».
Le deuxième personnage de ce qui va devenir un tandem d’enquêteurs est Lisbeth Salander. Lisbeth, c’est la face sombre de la Suède, l’opposé de Blomkvist, ou presque. C’est une jeune femme de vingt-cinq ans, si maigre qu’elle en paraît anorexique. Adepte des piercings, elle a le corps couvert de tatouages, les cheveux noirs très courts, coiffés, ou plutôt pas coiffés, en bataille. Elle n’écoute que du hard-rock. Elle est aussi une redoutable enquêtrice pour une société de sécurité et une hacker chevronnée. Mais c’est surtout une malade mentale. Au sens propre du terme. Elle a été internée à treize ans et depuis elle vit sous tutelle. Elle est asociale et a parfois des réactions assez déconcertantes pour son entourage.
Et ces deux personnages que tout oppose vont collaborer ensemble pour former un duo de super enquêteurs qui, évidemment, découvrira le secret d’Harriet…
C’est ce personnage de Lisbeth Salander qui porte le roman. Même si, finalement, sa folie n’est pas très folle (du moins dans cette première partie de Millenium, mais deux tomes suivent…), et reste très rationnelle.
Millenium est l’équivalent littéraire des séries américaines (et ne sont pas elles-mêmes de lointains succédanés d’aventures littéraires à la Eugène Sue ou à la Alexandre Dumas ?). Les images ne sont pas toujours hyper léchées, les mouvements de caméras n’ont rien d’éblouissant, mais on est tenu en haleine, parce que c’est plein de rebondissements et de mystères. Les intrigues reposent sur des personnages remarquablement campés, que l’on suit sur la longueur. Peu à peu, ils se dévoilent, on vit avec eux, et on apprend à les apprécier. On passe de si bons moments avec eux qu’on attend toujours la suite avec impatience. Au prochain épisode.
Yann Suty
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