Métamorphoses, migration, Adonis (par Nicolas Grenier)
Métamorphoses, migration, Adonis, Mercure de France, octobre 2024, trad. arabe, Aymen Hacen, 176 pages, 20,50 €
Edition: Mercure de France
Adonis, poète migrateur
Le poète syrien, Adonis, ouvre les portes de son royaume intérieur à l’Européen, à travers son Orient natal, ses traditions, ses mythes, ses légendes. Le recueil de poésie Le livre des métamorphoses et de la migration dans les contrées du jour et de la nuit, écrit entre 1961 et 1965, se découpe en quatre mouvements, à l’image de quatre points cardinaux, de la Fleur de l’alchimie aux Métamorphoses de l’amoureux. Dans ce voyage initiatique, chaque poème, en vers libre ou en prose, s’apparente à une escale :
Je devrais voyager dans le paradis des cendres
Parmi ses arbres secrets
Dans les cendres, les mythes, les diamants et la toison d’or
Dans cette géographie dont les points extrêmes seraient l’Euphrate et le Nil, le Levant et l’Andalousie, Bagdad et Damas, un paysage mental se matérialise : déserts, rochers, collines, vents, zéphyr. La mort, à travers ses fantômes, peuple cette contrée aride, jusque dans ses grottes, ses cavernes, son abîme, son cimetière, son tombeau, ses linceuls, ses suaires, ses cadavres. Face au péril de la vie, tout un réseau hydrographique fait ses racines : fleuve, source, pluie, aqueducs, ruisseau, cascade, lac, glace, eau, boue, sable, plages, écume, coquillages, vagues, mer, larmes. Une nature, plantureuse et généreuse, qui donne de l’élan, de la force, de l’énergie, est à l’œuvre, dans toutes ses composantes : prairies, forêt, arbres, tronc, branches, feuilles, plantes, fleurs, mandragore, lilas, narcisses, violette, herbe, roseau, pins, bourgeons, pétales, calices, pollen, sève, graines, semences, myrtes, roses, lauriers, santal, champs, palmeraie, dattiers, figuiers, olives, lavande, cerisiers, fruits. Dans ce décor, à la fois parfumé et coloré, fourmille tout un bestiaire méditerranéen : scorpions, papillon, sauterelle, serpent, lapins, cygnes, oiseaux, chèvres, fourmis, corbeau, mouette, hirondelles, colombe, aigle, jument, chevaux, lynx, guépard, taureau, chameaux, gazelles.
C’est dans cette île, cette péninsule, cette forteresse, ces citadelles que la poésie, tout comme la pensée, prennent forme à travers la magie de la langue et la prophétie des mots. Dans cette exploration mystique, le style reste pur, dépouillé, sec. Au-delà des murailles, le poète Adonis, ou les spectres de la poésie arabe classique, embarque sur cette terre poétique qui est riche en métamorphoses, autant dans le paysage qu’à travers le langage. Dans une forme de conte oriental, elle porte l’amour des êtres chers et le secret des choses. À la croisée du rêve et du sommeil, le spectacle peut être terrestre ou céleste. La poésie, cette patrie d’Ali Ahmad Saïd Esber, ami du Liban et de la France, devient une passerelle entre le monde connu et l’inconnu. À chaque instant, sous les étoiles ou comme un éclair, tout peut prendre feu et plonger dans une nuit éternelle. Face à cette précarité des éléments, l’être humain est de passage, comme en migration, à travers l’espace et le temps, jusqu’aux confins de la mort.
Nicolas Grenier
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