Mes Oncles d’Amérique, Françoise Bouillot
Mes Oncles d’Amérique, janvier 2015, 72 pages, 9 €
Ecrivain(s): Françoise Bouillot Edition: Joelle Losfeld
Petit récit et grand plaisir. On lit ce livre d’une traite, sans que l’intérêt ne faiblisse un instant. Deux femmes se souviennent des « oncles d’Amérique ». Et, avec eux, par eux, elles se souviennent d’une époque de leur toute jeunesse, d’un univers aujourd’hui disparu d’un New-York qu’elles ont quitté depuis pour Montmartre – et qui s’est effacé. Pas dans les mémoires. Dans la réalité et même dans le nom. Alphabet City – qui s’appelait ainsi car ses rues portaient toutes des noms de lettres – A, B, C … – est devenu East Village et la bohême est morte.
Des mondes qui disparaissent constituent le thème récurrent de ce récit. Les deux oncles connus et aimés à NY, étaient anglais et avaient quitté l’Angleterre dans des conditions aussi mystérieuses que sulfureuses. L’Angleterre s’était dissoute pour eux dans un déni farouche. Surtout de la part d’onc’ Peter, le plus rigide des deux. Ils forment un couple de vieux homosexuels à la fois drôles et teintés d’amertume.
La rencontre des deux femmes et des « oncles » se fait dans le mouvement erratique de ce que sera leur relation. Dans la syntaxe même, insouciante, d’une époque révolue avec ses uniformes.
« Son regard sur moi étudiait le T-shirt Mickey déchiré aux manches, le short court qui avait vécu, les Converse rouges que j’avais traînées dans tous les caniveaux de Paris et de New York. Grichka de son côté était dans sa période mild punk : des santiags, un bermuda kaki à grandes poches qui lui battait les mollets, et des cheveux noirs très courts striés de longues mèches roses. J’avais vingt-cinq ans et Grichka vingt-trois (…) ».
Fin d’un monde pour les jeunes femmes, fin des rêves, des libertés folles, des amis originaux et délirants. La mort de Peter va clore symboliquement un monde.
« Les fêtes avaient repris dans notre cour, mais moins gaies. Comme si Onc’ Peter, en mourant, avait amené les trente ans que nous avions crus si lointains, avait sonné la fin des jours de la jeunesse et détruit avant l’heure nos tanières déjà chancelantes d’Alphabet City ».
Restera la nostalgie et la levée du mystère d’Onc’ Peter – quête que les deux femmes, surtout la narratrice, mènera à son terme, obstinément. Dans un NY devenu étrange désormais, presque fantomatique, nébuleux.
« Mais si le grand Gatsby avait contemplé au bout de la jetée d’en face cette lueur verte si remplie de désir et d’espérance, je ne vis sur l’autre rive que les points dispersés des réverbères municipaux dans cette banlieue sans fin qu’est le New Jersey, et les lueurs jaunes de l’autoroute qui longe le fleuve ».
Laissons ici la trace narrative pour réserver aux lecteurs le point final des destins et des secrets des deux oncles. Et de leurs « nièces ».
Deux heures de vrai plaisir littéraire.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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