Mes anticorps, Jean-Pierre Otte (par Didier Ayres)
Mes anticorps, Jean-Pierre Otte, éditions Le Temps qu’il fait, octobre 2023, 168 pages, 20 €
Dualité
Je crois pouvoir avancer que ce recueil de pensées confine parfois à la philosophie et dans ce sens, est un travail duel. C’est une littérature qui prône et se constitue de mouvements, d’un certain équilibre comme le requiert la marche à pied – marche à pied qui est souvent un objet de description spirituelle. Mouvements donc, tension que le texte met à jour et où le lecteur a une place importante afin de trouver la part existentielle de la réalité et de l’activité de la langue. C’est une littérature en quelque sorte binaire : mouvements et arrêts, fragments de pensée qui trouvent leur chemin dans la continuité de l’écriture, paradoxes apparents et vérité essentielle. Ce livre est à caractère parcellaire dans le sens où chaque morceau constitue en lui-même tout un monde et reste très ouvert au rêve intérieur du liseur. Car la pensée de l’auteur ne se fige que pour imprimer un agrandissement de son texte, ajouter à son déroulement syntagmatique.
Se déplacer, c’est changer de place, passer, se dépasser, se hasarder, accéder au dehors, se mouvoir ailleurs pour se frotter à d’autres réalités et d’autres cultures, partager d’autres couleurs et d’autres goûts, s’enrichir des différences et s’énivrer de l’étrangeté en omettant jamais que l’on constitue en même temps un étranger pour l’autre.
Nous avons affaire à une pensée vagabonde. Cette méditation péripatéticienne calque son allant à l’amble du poète – lequel semble marcher pour réfléchir, et écrire pour respirer. La pensée figure la promenade. Le schème littéraire vacille, regardant peut-être vers Paul Valery et ses Cahiers.
Marcher pour marcher, écrire pour écrire, penser pour penser, telle pourrait constituer la devise de ce livre. Grâce à lui, le lecteur devient voyant et, à son tour, partage le partage offert ici. Celle ou celui qui lit pour soi se métamorphose, va de l’individu à la multiplicité, considère existence comme espace, va de l’Un à l’Autre, du particulier au général.
La marche, c’est l’art d’explorer le monde, et en même temps l’art de s’aventurer dans son propre espace.
Ou
Voyageurs en transit, passants en transhumance, nous voilà secoués, ballottés, contrariés, tiraillés entre deux rives, rendus à l’intervalle, au creux de la vague, aux charnières du temps.
C’est dans une littérature qui se refuse au repos, qui aime questionner (l’Être peut-être), sorte d’ombre portée, quelque chose d’apparenté à la conscience chez Pierre Teilhard de Chardin – où matière et esprit forment les deux faces d’une même réalité, la conscience d’être conscient, en considérant que l’immatériel puisse surgir du matériel – que se développe l’arrière-monde des anticorps de Jean-Pierre Otte. Ce faisant, j’ai associé en moi des triades d’épithètes : différence / existence / conscience et promenade / déambulation debordienne / passage et création / destruction / cohabitation et penser / être / devenir.
Écrire est l’art du faire apparaître depuis le gouffre du langage. Ce livre relègue le liseur à sa propre étrangeté, à sa propre ouverture, à sa propre dramaturgie communicationnelle. Donc, à une lecture vivante.
Didier Ayres
Jean-Pierre Otte publie aussi en même temps La moindre mesure du monde, éd. L’Étoile des limites, coll. Le lieu et la formule, 2023, 8 €
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