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Merci ! par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 10.11.14 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Merci ! par Kamel Daoud

 

Quand il ne dort pas, un pays peut rêver. Et au final, le pays a toujours besoin de deux histoires : l'une pour le passé et l'autre pour croire en lui-même. Une success-story. Quelque chose qui raconte que l'on peut partir d'un mot, d'un village, d'un coin, et arriver à planter son drapeau sur la lune et revenir avec la lune dans sa poche. Un pays, c'est comme un homme : cela rêve de réussir. D'être admiré, d'être applaudi. Pendant quelques semaines, le chroniqueur a vécu ce rêve : le sien et celui des autres, mêlés et presque unanimes.

Une sorte de ferveur. Cela vous bouleverse et vous révèle votre pays comme une terre qui attend une gloire, une reconnaissance, une image. Cela vous révèle ce qui manque le plus : une belle image de soi, un respect. Briller, c'est partir, en règle générale chez nous. Mais cela n'est pas une fatalité. On peut revenir au pays avec une victoire et éclairer les autres parce que l'on cherche à s'éclairer soi-même.

Ce fut donc une magie heureuse cette année. Cela arrive rarement chez nous de voir un livre devenir vivant et être attendu comme un proche et salué comme un but. La ferveur était réservée au wantoutrisme, pas à la littérature.

Le chroniqueur aurait donc voulu offrir plus aux siens : de la gloire, encore plus de réussite et aider à ce que ce doute sur soi et les siens s'épuise et soit démenti de temps à autre. J'aurais voulu revenir avec ce prix et prouver que l'on peut suspendre la fatalité, vaincre la pesanteur et s'affirmer sans se trahir. Car ce qui manque le plus aux Algériens : une histoire de réussite, un mythe, un rêve à offrir aux jeunes générations, un modèle, une réédition de l'american-dream made in Algeria. Cela viendra et par d'autres. J'ai fait ce que j'ai pu, vraiment.

A un moment, le chroniqueur avait ressenti ce qu'il avait décrit un jour dans une nouvelle, « l'Ami D'Athènes ». Ce coureur algérien des 10.000 mètres qui, après le starter, découvre qu'il doit courir pour donner confiance aux siens qui le regardaient à la télé, leur inspirer vie et bonheur d'être ce qu'ils sont. Le coureur découvre qu'il a à vaincre non seulement le vent et les Allemands et les Kenyans, mais aussi la pesanteur, la défaite, le fatalisme et une vieille histoire nationale que personne n'écoute. C'est alors qu'il redouble de férocité et s'envole et essaye de pousser dans le dos un peuple en entier et de le prendre par la main pour le faire sortir du puits. Et c'est alors qu'il gagne, pulvérise la ligne d'arrivée, provoque les applaudissements et les hourras puis continue encore de courir, ne voulant pas que ce moment cristallin cesse, sort du stade, de la ville, du pays et promet de ne jamais s'arrêter. Ou seulement s'il rencontre un autre qui aurait fait le même chemin mais dans les sens inverse. Une fable ? Pas seulement. Il s'agit de prouver que l'Algérien n'est pas mort mais aussi d'apporter au monde sa part de sens, d'y participer, de le rejoindre et de le partager. La littérature est une âme commune qui enveloppe les corps.

Merci donc à tous. De partout. J'aurais voulu faire plus. Et je le ferai.

 

Kamel Daoud


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

Tous les textes et articles de Kamel Daoud


 

Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015