Merci ! par Kamel Daoud
Quand il ne dort pas, un pays peut rêver. Et au final, le pays a toujours besoin de deux histoires : l'une pour le passé et l'autre pour croire en lui-même. Une success-story. Quelque chose qui raconte que l'on peut partir d'un mot, d'un village, d'un coin, et arriver à planter son drapeau sur la lune et revenir avec la lune dans sa poche. Un pays, c'est comme un homme : cela rêve de réussir. D'être admiré, d'être applaudi. Pendant quelques semaines, le chroniqueur a vécu ce rêve : le sien et celui des autres, mêlés et presque unanimes.
Une sorte de ferveur. Cela vous bouleverse et vous révèle votre pays comme une terre qui attend une gloire, une reconnaissance, une image. Cela vous révèle ce qui manque le plus : une belle image de soi, un respect. Briller, c'est partir, en règle générale chez nous. Mais cela n'est pas une fatalité. On peut revenir au pays avec une victoire et éclairer les autres parce que l'on cherche à s'éclairer soi-même.
Ce fut donc une magie heureuse cette année. Cela arrive rarement chez nous de voir un livre devenir vivant et être attendu comme un proche et salué comme un but. La ferveur était réservée au wantoutrisme, pas à la littérature.
Le chroniqueur aurait donc voulu offrir plus aux siens : de la gloire, encore plus de réussite et aider à ce que ce doute sur soi et les siens s'épuise et soit démenti de temps à autre. J'aurais voulu revenir avec ce prix et prouver que l'on peut suspendre la fatalité, vaincre la pesanteur et s'affirmer sans se trahir. Car ce qui manque le plus aux Algériens : une histoire de réussite, un mythe, un rêve à offrir aux jeunes générations, un modèle, une réédition de l'american-dream made in Algeria. Cela viendra et par d'autres. J'ai fait ce que j'ai pu, vraiment.
A un moment, le chroniqueur avait ressenti ce qu'il avait décrit un jour dans une nouvelle, « l'Ami D'Athènes ». Ce coureur algérien des 10.000 mètres qui, après le starter, découvre qu'il doit courir pour donner confiance aux siens qui le regardaient à la télé, leur inspirer vie et bonheur d'être ce qu'ils sont. Le coureur découvre qu'il a à vaincre non seulement le vent et les Allemands et les Kenyans, mais aussi la pesanteur, la défaite, le fatalisme et une vieille histoire nationale que personne n'écoute. C'est alors qu'il redouble de férocité et s'envole et essaye de pousser dans le dos un peuple en entier et de le prendre par la main pour le faire sortir du puits. Et c'est alors qu'il gagne, pulvérise la ligne d'arrivée, provoque les applaudissements et les hourras puis continue encore de courir, ne voulant pas que ce moment cristallin cesse, sort du stade, de la ville, du pays et promet de ne jamais s'arrêter. Ou seulement s'il rencontre un autre qui aurait fait le même chemin mais dans les sens inverse. Une fable ? Pas seulement. Il s'agit de prouver que l'Algérien n'est pas mort mais aussi d'apporter au monde sa part de sens, d'y participer, de le rejoindre et de le partager. La littérature est une âme commune qui enveloppe les corps.
Merci donc à tous. De partout. J'aurais voulu faire plus. Et je le ferai.
Kamel Daoud
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