Mémoire et image. Regards sur la Catastrophe arménienne, Marie-Aude Baronian
Ecrit par Arnaud Genon 04.10.13 dans La Une Livres, L'Âge d'Homme, Les Livres, Critiques, Histoire
Mémoire et image. Regards sur la Catastrophe arménienne, 2013, 180 p. 19 €
Ecrivain(s): Marie-Aude Baronian Edition: L'Âge d'Homme
Le génocide arménien de 1915, le premier du XXe siècle, « se distingue à la fois par sa fonction inauguratrice et par sa non-reconnaissance qui n’en est pas moins son accomplissement et sa “réussite” » note Marie-Aude Baronian, dès les premières pages de son essai. L’oubli dont il souffre et l’impunité dont il a bénéficié fit de lui un « mode d’emploi à l’usage du parti nazi ». Mais penser la mémoire du génocide aujourd’hui amène à distinguer cette Catastrophe de celle qui lui succèdera. Il est vrai, en ce qui concerne la Shoah, que les images ont participé à la prise de conscience visuelle de l’horreur et à la transmission mémorielle alors que le génocide arménien se confronte, lui, à une perte de mémoire, due justement à l’absence de la circulation d’images. C’est sur cet aspect particulier que le présent ouvrage se penche. Comment se transmet la Mémoire d’un génocide sans images ? Que dire « de la traduction et des représentations visuelles de la Catastrophe » proposées par des artistes arméniens contemporains tels que Atom Egoyan, Gariné Torossian ou Mekhitar Garabedian ?
La réflexion sur l’image s’impose car se souvenir, nous dit Georges Didi-Huberman, c’est imaginer. Or, comment soutenir la Mémoire quand l’image fait défaut, tout au moins quand les images n’ont pas été répandues dans l’espace collectif et public ? D’autre part, la Catastrophe est un événement par définition sans image puisque voué, par les bourreaux, à devenir un non-événement, un événement dont il n’y aurait trace.
L’étude de Marie-Aude Baronian est par ailleurs traversée d’un engagement personnel. En effet, le visionnage d’un film dans lequel son grand-père relate son expérience du génocide n’a jamais cessé de l’interpeller et de l’interroger. Et considérant que ce témoignage constitue « un défi lancé au génocide et donc à l’extermination du témoin », on comprend la portée que revêt alors son travail.
La question des archives est incontournable lorsque l’on se penche sur la question du génocide, puisque les génocidaires cherchent soit à les détruire, soit à les nier. Les photographies sont le signe de la réalité des faits mais parce que souvent difficiles à contextualiser, à dater précisément, elles deviennent la marque d’une mémoire décousue et donc vulnérable. C’est la raison pour laquelle des artistes héritiers du génocide « investissent leur travail du questionnement de l’image, sans pour autant [le] représenter de manière figurative ».
L’ouvrage interroge aussi la problématique de la représentation de la Catastrophe quand justement on considère qu’il y a là de l’indicible et de l’irreprésentable. Les exemples sont nombreux quand il s’agit d’évoquer les polémiques, les controverses et discussions autour de la représentation de la Shoah. Mais il y a une singularité relative au génocide arménien : l’impossible d’une telle représentation se double de l’impossibilité « de transmettre “ce qui n’existe pas” », de transmettre une « mémoire à recréer ».
C’est le travail d’artistes d’origine arménienne qui est enfin analysé. L’héritage du peintre Arshile Gorky dont se réclament notamment Atom Egoyan, Garabedian et Torossian, et la manière dont ces derniers se répondent et s’influencent, fait l’objet d’une approche des plus intéressantes. Une attention particulière est accordée au travail plastique et conceptuel de Mekhitar Garabedian et au questionnement de « sa propre mémoire, [de] la mémoire (tragique) de son peuple, et encore [de] la mémoire des arts ».
L’étude de Marie-Aude Baronian rend ainsi accessible une problématique complexe. Elle amène à penser de façon passionnante comment s’articulent l’Histoire du génocide arménien, la question de la transmission, du geste testimonial et de l’Art qui tentent de construire « une mémoire encore à venir ».
Arnaud Genon
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A propos de l'écrivain
Marie-Aude Baronian
Marie-Aude Baronian est docteur en philosophie et en études cinématographiques. Elle enseigne l’esthétique filmique, la culture visuelle et la philosophie de l’image à la Faculté des sciences humaines de l’Université d’Amsterdam. Elle est l’auteur de nombreux textes sur notamment les questions de l’archive, de la mémoire et de la diaspora dans le cinéma et les arts visuels. Ses publications les plus récentes incluent Cinéma et Mémoire. Sur Atom Egoyan (Éditions de l’Académie royale de Belgique, 2013) et bientôt La Caméra à la nuque. Penser l’image filmique avec Emmanuel Lévinas (Oxford, Peter Lang, 2014). Parallèlement, elle poursuit des recherches sur le costume et la mode dans la philosophie et le cinéma.
A propos du rédacteur
Arnaud Genon
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Rédacteur
Domaines de prédilection : Littérature française et francophone
Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais
Maisons d´édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset
Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il est l´auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), de L’Aventure singulière d’Hervé Guibert (Mon petit éditeur, 2012), Autofiction : pratiques et théories (Mon petit éditeur, 2013), Roman, journal, autofiction : Hervé Guibert en ses genres (Mon petit éditeur, 2013). Il vient de publier avec Jean-Pierre Boulé, Hervé Guibert : L'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses universitaires de Lyon, coll. Autofictions etc, 2015). Ses travaux portent sur l’écriture de soi dans la littérature contemporaine.
Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org