Mélancolie douce, Patrick Dubost
Mélancolie douce, Ed. La Rumeur libre, 2013, 80 pages, Prix Jean-Jacques Lerrant
Ecrivain(s): Patrick Dubost
Qu’est ce qui fonde la différence entre un texte théâtral fait pour être dit sur scène, face à un public, clamé, déclamé, et un texte poétique qui relève de la performance ?
Qu’est-ce qui distingue le théâtre du récit même poétique sinon la présence dans le texte-papier des didascalies et les marques de dispositions scéniques qui visuellement renvoient le lecteur à ce genre particulier. En lisant le dernier texte de Patrick Dubost, on pense alors poésie élégiaque et pourtant il semblerait que le performeur veuille plutôt dynamiter les cloisons des genres.
Ainsi Mélancolie douce avec ses 49 tableaux nous raconte une histoire dialoguée, polyphonique, sans que jamais aucune marque du dialogue rattachée au genre théâtral (didascalies) ou au récit soit présente. Bien sûr puisque ce genre appartient en premier lieu à la poésie.
Une poésie dont la force réside dans l’emploi des mots les plus simples, l’intervention de personnages les plus ordinaires (une boulangère, une enfant de sept ans…), un dispositif de mise en page qui fait couler la parole des uns aux autres, la fondant en une seule voix, celle du poète assurément, debout sur scène déclamant et absorbant toutes ces voix.
Au lecteur donc face au dispositif textuel de distribuer les rôles, le poète lui-même hésitant au départ, se reprenant pour énoncer ce dire qui n’a pas à se dire. « On recommence. Nous ne rions jamais… »
« Nous ne rions jamais
sinon par erreur
Nous sommes
Mélancoliques »
Ce premier tableau (sans numéro) est une sorte de sentence et donnera le ton. Il renvoie à un pessimisme qui minera le texte.
Il y a comme du reniement à se faire poète dans cette tentative de dire la mélancolie qui au fond « est un bon terreau pour la poésie ».
Comment dire en effet quelque chose de mélancolique sans tomber dans le lyrisme de la poésie sauf à la tourner en dérision (la poésie, pas la mélancolie qui elle, a le dernier mot !).
Donc « la parole qui nous est donnée
est une parole théâtrale mais
comptée bizarrement et
coupée tout de travers »
Etre intime tout en étant plusieurs, voilà l’exercice. C’est une parole morcelée que nous délivre la femme dont le mari l’a quittée, sa mélancolie est là sans doute dans cette difficulté à se tenir entière debout.
« J’ai x enfants
y petits-enfants
z ex-maris »
Elle « broie du noir et elle « picole »
La mélancolie absorbe l’enfance, elle se fait nostalgique, souvenirs des chemins, des désirs et des rêves, des drames et des petits bonheurs.
Au bout du compte ne demeure que la parole pour dire ce dire qui ne peut se dire.
« Les mots voudraient nous dire
d’où nous vient le silence
mais sitôt réveillés
plus rien n’émerge de
ce dont ils rêvaient »
« Ne plus respirer sinon
pour donner au temps
cette pulsation
plus légère que celle
d’un temps mesuré »
« J’ai choisi cette fleur
pour ce qu’elle joue dans l’ombre
et fait de la lumière
un lointain souvenir ».
On pense au soleil noir de la mélancolie, cette dépression qui suit le deuil dont parle Kristeva, la mélancolie, ce soleil noir de la perte.
La fleur d’ailleurs ne s’appelle pas Mélancolie mais ancolie, même avec un « h », ce n’est pas une fleur.
Mélancholie donc… ; elle s’appelle devenue morte plus morte que la mort.
Pour raconter il faut avoir au moins une histoire, « vivre quelque chose/pour avoir enfin/quelque chose à raconter ».
« La fleur de mélancolie
ne veut rien savoir
du présent et encore moins
de l’avenir elle
fane très vite
à l’évocation
des images du passé ».
La mélancolie se lie à la nostalgie, elle fait son lit dans l’enfance, les souvenirs multipliés, dans les cimetières où elle collectionne les morts.
A la fin tout s’inverse, il n’y a pas eu d’histoire, ça n’était pas le but.
« Je ne suis pas boulangère
Mon mec ne m’a pas quittée
Je n’ai pas sept ans… »
Tout est détricoté lentement. Il ne reste rien que le « NOIR »
C’est un livre sombre, très sombre comme son titre et le dernier mot qui le clôt, qui renvoie aux grandes questions existentielles sans jamais laisser passer la lumière.
Tout ce qui a été raconté ne sert à rien, ça n’était pas le but, on l’a déjà dit, on le regrette de l’avoir dit, c’est le propre de la mélancolie. Il ne s’agissait pas de raconter, tout juste de dire, laisser la mélancolie prendre toute la place qu’elle contient déjà dans le mot de la fin écrit en lettres capitales : NOIR
Marie-Josée Desvignes
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