Mélancolie américaine, Joyce Carol Oates (par Nicolas Grenier)
Mélancolie américaine, Joyce Carol Oates, Éditions Philippe Rey, 2023, poèmes trad. anglais (États-Unis), Claude Seban, 129 pages, 17 €
Ecrivain(s): Joyce Carol Oates Edition: Philippe Rey
Amérique psychiatrique
Depuis la côte Est, à Princeton, dans le New Jersey, Joyce Carol Oates est un témoin de toutes les Amériques qui se placent sous le signe de Saturne. Dans son recueil de poésie de circonstance, Mélancolie américaine, qui alterne des poèmes, longs et courts, la petite histoire s’entremêle avec l’histoire des États-Unis. Tout l’Occident, des « sanitaires bouchés » de l’Hôtel Königshof, à Cologne, jusqu’à l’empire du Milieu, ressemble à une impasse métaphysique, tel que l’annoncent les premiers mots du poème Le tunnel, qui flottent au-dessus de la baie de San Francisco :
Début avril, descendant
la longue colline accidentée
derrière Panoramic Way
Un matin à l’éclat radioactif.
La colline, un puzzle de protubérances bétonnées
brisées et discontinues comme les aphorismes de Nietzsche.
Face au cadavre de l’Amérique, sa peau, ses plaies, ses pores, la femme de lettres brandit son scalpel. Dans son hôpital lyrique se traitent les maladies, des soins palliatifs à l’accident vasculaire cérébral (AVC). Dans la folie des expérimentations, les apprentis-sorciers s’en donnent à cœur joie. Ils s’appellent John B. Watson, l’un des pères du béhaviorisme, sur le petit Albert en 1920, Stanley Milgram, psychologue social, à l’université de Yale, en 1962, le docteur Harry F. Harlow et ses singes du laboratoire de Madison, dans le Wisconsin. Un ancien médecin de l’hôpital de l’armée de libération du peuple chinois à Beijing, chante son ode à la chirurgie plastique, Récolte ta peau. L’élégie médicale, Aidez-moi, docteur, achève le tableau clinique sous la forme d’un avortement.
Dans le monde moderne, on ne trouve aucune issue de secours. À travers le poème, Trop jeunes pour se marier, mais pas trop jeunes pour mourir, la jeunesse part en fumée, dans un accident de voiture qui fonce dans le lac Chippewa, en plein cœur de l’Ohio, par une belle « nuit étoilée ». L’Amérique d’aujourd’hui est essoufflée comme le grand-oncle Eli qui a bourlingué dans le continent nord-américain, des « champs de pétrole de l’Oklahoma » jusqu’à son interview vidéo par sa petite-nièce, Maya.
Dans ce laboratoire général de la catastrophe, après les fausses idoles du XXe siècle, Marlon Brando et Paul Celan, l’attaque cardiaque de William Carlos Williams, le 4 mars 1963 à Rutherford, dans le New Jersey, il reste une « langue des signes » qui résonnent comme un testament poétique :
Nous regardons fascinés
Les doigts de l’interprète
Cueillir les mots du poète dans l’air
Comme des balles
Nicolas Grenier
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