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Meilleur ami, meilleur ennemi, James Kirkwood

Ecrit par Léon-Marc Levy 29.11.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Joelle Losfeld, Roman, USA

Meilleur ami, meilleur ennemi (Good Times/Bad Times), octobre 2016, traduit américain Etienne Gomez, 435 pages, 25 €

Ecrivain(s): James Kirkwood Edition: Joelle Losfeld

Meilleur ami, meilleur ennemi, James Kirkwood

 

 

Ce roman repose sur un art consommé de la narration. Dans les moments drôles – et il y en a beaucoup –, les passages tristes, les cassures douloureuses, James Kirkwood montre une maîtrise absolue du « storytelling » et nous mène par le bout du nez à travers l’histoire de Peter, Jordan et M. Hoyt. Pas un instant de faiblesse ne vient ternir cette affaire, ce livre offre quelques heures d’une lecture haletante, passionnante, avec des éclats de rire, du suspense, des émotions profondes.

Peter est en prison. On apprend tout de suite qu’il est là pour accusation de meurtre. Son avocat lui demande le récit des événements qui l’ont conduit au drame (dont nous ne savons rien). C’est donc une écriture en flashback qui tisse ce roman. C’est cette situation narrative qui est source de la tension de ce roman : on sait un peu, mais quoi ? Qui ? Pourquoi ?

Pour lever toute ambigüité, Meilleur ami, meilleur ennemi n’est pas un polar. Mais alors pas du tout. On est bien plus proche du roman potache, sans la moindre connotation péjorative, à la manière de Catch in the rye (L’attrape-Cœur) de Salinger (1). Un internat de garçons, avec ses blagues, ses délires, ses crises de nerfs, ses fous rires, ses amitiés particulières. Kirkwood se plaît à raconter le quotidien de ces jeunes (et vieux) fous qui condensent en ces longues journées de pensionnat tout ce qui fait leur être, leurs rêves, leurs faiblesses, leurs qualités. Tout ce qui – peu à peu – déroule un aperçu probable de ce qu’ils seront.

C’est autour de l’amitié passionnée de Peter et Jordan que le drame se noue. Une amitié comme on peut en connaître seulement dans l’adolescence ou la prime jeunesse : exigeante, totale, exclusive. Tout en fait un véritable amour, sans pour autant qu’il s’y trouve de dimension homosexuelle – en tout cas autre que sentimentale. La première fois que Peter voit Jordan (qui arrive en cours d’année comme le Grand Meaulnes par exemple), on assiste à la rencontre amoureuse classique, stendhalienne ou rousseauiste, le coup de foudre.

« Il y a bien eu une surprise. Pas celle que je (2) m’étais imaginée. Je venais à peine de m’asseoir quand j’ai entendu M. Kauffman se racler la gorge. En levant les yeux, je l’ai aperçu debout juste en face de moi à une place que l’on venait d’installer, et à côté de lui… un visage complètement nouveau ».

L’originalité la plus forte, presque miraculeuse, du roman de Kirkwood est le traitement d’une tragédie en comédie. On rit (presque) tout au long du livre – et parfois d’un rire un peu gras voire scatologique – alors que cette histoire est terrible en fin de compte. Kirkwood semble le dire dans un élément narratif récurrent, autour du célébrissime monologue de Shakespeare To be or not to be tirée du Hamlet, que Peter doit interpréter sur scène pour un concours entre les écoles du New Hampshire. M. Hoyt, le directeur, a exercé une pression harcelante sur Peter pour qu’il le fasse et, une fois sur scène, Peter dit une parodie hilarante du monologue tragique.

« Ecoutez, vous moquez pas d’lui, l’pauvre gars. Il a vraiment eu quelques problèmes, ce Hamlet. […] D’abord, vous, vous apprécieriez si votre oncle venait dîner chez vous et faisait des avances à votre mère ? […] Et ces vieux châteaux, que d’courants d’air ! Les gens avaient toujours des rhumes, et les Kleenex on ne les avait toujours pas inventés ».

On peut voir dans cette scène la métaphore du parti pris narratif de Kirkwood : l’affreuse tragédie qu’il nous conte entremêle constamment le grotesque et la douleur.

Un roman passionnant, original, parfaitement traduit de l’américain par Etienne Gomez, Meilleur ami, meilleur ennemi est une lecture hautement recommandable.

 

Léon-Marc Levy

 

(1) Ce roman de James Kirkwood a été écrit dans sa version originale (Good Times / Bad Times) en 1968 soit à peine 15 ans après la parution du célèbre roman de Salinger qui, dans les années soixante, a été la bible de toute une génération.

(2) Le narrateur est le personnage nommé Peter.

 

VL2

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)

 

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A propos de l'écrivain

James Kirkwood

 

James Kirkwood Jr., né le 22 août 1924 et mort du SIDA le 21 avril 1989, est un romancier, dramaturge et acteur américain. Il est l’auteur de 5 romans. Certaines de ses pièces (A Chorus Line, Legends !) restent des références de Broadway.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /