Médée, poème enragé, Jean-René Lemoine
Médée, poème enragé, 80 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jean-René Lemoine Edition: Les solitaires intempestifs
« Médée(S) »
Il y a Iphigénie, la Sacrifiée (cf. le texte de JR Lemoine), Phèdre la Fatale, il y a Médée, l’infanticide, la fratricide, l’incestueuse, l’assassine, l’exilée. La SACRILEGE.
Médée, littérature depuis Homère et Euripide, Médée peinture, Médée cinéma, Médée musique. Médée pluriel de JR Lemoine, à la fois réécriture tragique, citation de l’auteur grec (récit du messager sur la mort de Créüse (p.40-41) mais aussi Médée d’opéra. Elle chante la partition de Tosca de Puccini, ses grands airs, « la notte è dolcissima » p.24, « o dolci baci o languide carezze » (p.31) ou « or gli perdono ! » (p.46) ou « svani per sempre il sogno moi d’amore » (p.36). Médée est héroïne wagnérienne : Iseult (p.19, p.45) ; Bruhild (p.45). Penthésilée d’un opéra de Dusapin. Mais sa voix se fond avec les paroles d’une célèbre chanson des Moody Blues, Night in white satin, qui est ici un leitmotiv au sens musical du terme, dès l’ouverture de la pièce, dans le prologue, et plus loin (p.23, p.40-1). Médée aussi souvenir shakespearien de Desdémone ou d’Ophélie (p.19).
Médée est fille (du roi de Colchide), sœur d’Apsyrte et femme de Jason et mère de ses deux fils. Criminelle amoureuse :
Qu’ai-je fait d’autre qu’aimer celui qui ne m’a pas aimée ?
Médée dans la pièce de JR Lemoine, est archaïque comme son désir et contemporaine. Elle voyage avec le beauty-case de sa maman, elle noie ses enfants dans une piscine. Elle investit la langue anglaise. Elle parcourt le monde en étrangère : la fable de la pièce se construit essentiellement sur ses exils successifs de chez les siens en passant par Iolcos ou Corinthe. Le prologue annonce le retour sur sa terre tandis que l’épilogue célèbre ce retour, sur la tombe de son frère. Médée est fille des ondes, des mers parcourues, poétesse de ce voyage sans fin que JR Lemoine grave dans des formes versifiées :
Route libre, mer infinie, ciel pur
Mer infinie, mer infinie, ciel pur
Etendue nuit et jour dans la caravelle
J’ai continué ma route jusqu’à l’océan.
Médée est poème enragé comme le titre en apposition le dit. Enragé comme lorsque l’on est atteint par la rage mais aussi, selon la polysémie du mot, comme lorsqu’on souffre d’une douleur excessive (la perte de l’amour de Jason), mais aussi lorsqu’on est en proie à un violent désir de sexe et de meurtre) et enfin en proie au dépit, à la jalousie meurtrière à l’égard de la jeune épouse de Jason. La langue de JR Lemoine est habitée par cette rage monologuée, presque crachée en brèves phrases, en simples mots qui claquent :
Battement du cœur
Battement du cœur
Battement du cœur
Battement du cœur
La phrase passe assez souvent par la force exclamative et quelquefois par l’interrogation. A plusieurs reprises d’ailleurs, le langage au bout de lui-même, s’avoue vaincu, pris dans le « rewind » et les ellipses.
Le sexe, la langue du sexe et des corps enragés traversent le plaisir, l’amour puis les coïts tristes (cf. la sodomie de Créon, l’échangisme, p.35) et pousse jusqu’à l’incandescence la parole de Médée.
Médée qui est aussi noire, qui est aussi homme-femme maquillée pour le théâtre et l’amour. Lors de la création de la pièce, au MC93, à Bobigny, c’est JR Lemoine qui l’« incarna » en pantalon, portant une tunique drapée à l’antique et fardé. Seul sur le plateau avec son micro.
Médée est « l’homme seul dans la profondeur de la nuit antique ou caraïbe ».
Médée se recommence parce que Médée est Immortelle.
Marie Du Crest
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