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Mécanismes de survie en milieu hostile, Olivia Rosenthal

Ecrit par Pierrette Epsztein 16.10.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Verticales, Roman

Mécanismes de survie en milieu hostile, octobre 2014, 192 pages, 16,90 €

Ecrivain(s): Olivia Rosenthal Edition: Verticales

Mécanismes de survie en milieu hostile, Olivia Rosenthal

 

 

Si vous cherchez un livre qui vous apporte le confort et l’oubli des contraintes du jour, un livre reposant, qui vous offre le plaisir de l’instant, avec une intrigue linéaire qui se dévoile peu à peu et vous conduise pas à pas vers une fin paisible et prévisible, avec un narrateur omniscient qui agite des personnages comme un marionnettiste qui a tout pouvoir, qui connaît d’avance chaque mouvement des corps et des esprits, alors ne vous précipitez pas d’acheter le dernier roman d’Olivia Rosenthal, Mécanismes de survie en milieu hostile, paru en août de cette année. Vous n’y trouverez pas du tout ce que vous cherchez.

Par contre, si vous n’avez pas peur d’être bousculé, chahuté, alors, n’hésitez pas un instant, vous serez comblés. Au fil des pages, vous basculerez dans les méandres de vos mémoires refoulées, de vos sentiments les plus intimes et les plus inavouables, dans vos terreurs les plus archaïques.

Vous entrez dans ce livre comme on pénètre dans une salle obscure. Vous ne savez pas du tout quel genre de film vous est projeté sur l’écran blanc de vos fantasmes. S’agit-il d’un film d’action, catastrophe, d’horreur, d’angoisse, de science-fiction, fantastique, d’un docu fiction, dramatique, de guerre, policier, d’un thriller psychologique, d’un récit autobiographique, intimiste ? C’est un peu de tout cela et rien de tout cela à la fois. Tous vos repères sont brouillés. Tous ces genres se mélangent. La tête vous tourne. Et vous vacillez.

Olivia Rosenthal pourrait reprendre à son compte les propos d’Aragon dans son ouvrage paru en 1969 :Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit : « Il y a plusieurs façons de se jeter à l’eau. Plonger, tomber. Se débattre. Je me jette à l’eau des phrases comme on crie. Comme on a peur. Ainsi tout commence… D’une espèce de brasse folle inventée. Dont on coule ou survit (…). C’est comme si j’avais écrit entre des silences… Je n’ai jamais écrit mes romans, je les ai lus… Comprenez-moi : je n’ai jamais su qui était l’assassin. C’est au mieux cet inconnu qui m’a pris par la main pour être le témoin de son acte… La porte-fenêtre de Matisse semble s’ouvrir sur cet espace d’un roman qui commence et dont l’auteur ignore tout encore, comme de cette vie dans la maison d’obscurité, ses habitants, leurs façons d’être, leur mémoire, leurs rêves, leurs douleurs ».

Pénétrons au cœur de la construction de ce roman. Il se découpe en cinq chapitres. Dans chacun, l’auteur combine des passages en italiques qui semblent issus de recherches minutieuses sur la mort imminente, sur la décomposition des corps, sur le travail des urgentistes, des enquêteurs, des médecins légistes. Mais pouvons-nous être sûrs qu’il ne se mêle pas de l’invention dans ces récits documentaires ? Et des passages en écriture droite où l’auteur utilise la narration à la première personne, ce qui ne l’empêche pas de nous impliquer par moments en utilisant le « on ». Elle multiplie les angles de vue. Elle reprend à plusieurs reprises des scènes presque identiques, elle décrit avec quelques variantes les mêmes lieux tous sens en alerte rouge, ressasse les mêmes mots, les mêmes expressions, multiplie les « et » et les « ou » comme dans une longue mélopée. Elle accentue toutes les oppositions : les alliés potentiels et les vrais ennemis, les espaces ouverts et les ornières où l’on se perd, la nuit extérieure à la lisière de la nuit intérieure, les peurs et les audaces, la mort qui rôde et la vie qui affleure, l’organique et le spirituel, l’ancien qui enferme et le nouveau qui ouvre. Le roman tourne en rond autour d’un point fixe. Une quête échevelée nous est contée dont la visée est la sortie du tunnel. Elle accumule les verbes dans une longue litanie. Souvent, l’auteur nous égare. Qui parle ? Qui abandonne qui ? Nous sommes conviés à un étrange jeu de piste ou à un jeu de cache-cache durant lequel il n’y a plus de temps ni d’espace stable auquel se référer.

L’héroïne du roman est une femme qui, dans un long monologue, entreprend une fouille minutieuse des limites. Elle tourne autour de ses blessures. Avec obstination, elle creuse dans ses failles, elle questionne avec acharnement la disparition et le deuil. Elle revisite les fantômes qui hantent son inconscient. Elle s’enfonce dans un puits profond au risque de s’y noyer. Au premier chapitre, elle court de façon éperdue, en abandonnant une femme au bord d’une route déserte. Que fuit-elle ? Et qui abandonne-t-elle ? Dans des forêts obscures, elle fuit un ennemi sans visage, elle s’enfonce dans des paysages d’apocalypse. Elle traverse toutes les étapes d’une vie, de l’enfance à la maturité. Et au moment où elle pense avoir échappé à ses fantômes, resurgissent des silhouettes inquiétantes qui entament autour d’elle une danse macabre et qui la poussent à s’enfermer dans le silence pour cacher ses peurs irraisonnées, son deuil impossible, l’absence, l’attente, la perte, l’incompréhension, la culpabilité. Parfois, elle souhaite même devenir invisible pour échapper à ses cauchemars. Quand tous ses repères vacillent, à quelle rationalité peut-elle se raccrocher ? Funambule de l’oubli, elle passe sans transition du contrôle de ses émotions au dérèglement de tous ses sens en alerte qui la débordent, de l’égarement dans les ténèbres au jaillissement inattendu de rayons de lumière, de la cruauté hostile de la mort à la respiration tranquille de l’apaisement, de la colère qui empoisonne les jours à la surprise ébahie de l’embellie.

Au fil des pages, l’énigme se dévoilera ou du moins, le lecteur pourra tricoter de multiples hypothèses.

L’héroïne réussira-t-elle à revenir de l’innommable ? « Je veux quitter le chasseur, je suis attachée à lui par le jeu du cache-cache, l’affection, la haine naissante, la suggestion, la terreur et le manque. Je n’ai pas encore trouvé comment m’y prendre pour être indépendante. Je suis habitée, je suis traversée. Je suis hantée. Je suis plusieurs. Je veux maintenant reprendre ma place… ».

Olivia Rosenthal choisit, dans un combat singulier, d’affronter dans l’écriture ces démons qui l’étouffent. Elle accomplit un cérémonial qui pourrait s’apparenter à un exorcisme. Dans son roman, l’auteur passe de la vague de ses émotions incontrôlables à la création littéraire où elle reprend la maîtrise de son existence en la transformant par la magie de la fiction. Au fil des pages, elle parcourt de nombreux chemins broussailleux où elle cherche avec inquiétude et avec passion ce qui peut lui donner une raison de vivre. Il ne lui restait plus qu’à transcrire ses égarements et à nous offrir en cadeau le souvenir lointain de l’inattendu qui la guettait au bout du chemin. Elle réussit, avec brio, à traduire en mots ses cris et chuchotements.

Durant cette étrange traversée qui donne le vertige, nous, lecteurs, sommes confrontés à ce dont ordinairement nous nous détournons en plongeant dans une frénésie d’activité. Où est la réalité ? Où est le cauchemar ? Nous n’arrivons pas à tracer une frontière nette entre ces deux espaces. Certes, de cette avancée dans les dédales de notre labyrinthe intime qui nous est jeté au visage, nous ne sortons pas indemnes. Mais, en fermant le livre, nous pouvons en retirer une plus grande connaissance de ce qui nous meut, et sortir plus riche de cette approche de « l’invisible » pour avancer avec moins de crainte vers nos vrais désirs avec une plus grande rage de vivre.

 

Pierrette Epsztein

 


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A propos de l'écrivain

Olivia Rosenthal

 

Olivia Rosenthal est née à Paris en 1965. Depuis 1999, elle a publié neuf récits aux éditions Verticales, dont Mécanismes de survie en milieu hostile (rentrée littéraire), On n’est pas là pour disparaître et Que font les rennes après Noël ? (prix du Livre Inter 2011). Sa première pièce, Les félins m’aiment bien, a été créée en janvier 2005. Par ailleurs, elle réalise régulièrement, en collaboration avec des cinéastes, des performances pour divers lieux et festivals. Elle enseigne la littérature à l’Université Paris VIII (Vincennes-Saint-Denis) où elle a créé en 2013, avec Lionel Ruffel et Vincent Message, un des premiers masters de création littéraire de l’enseignement supérieur français.

 

A propos du rédacteur

Pierrette Epsztein

 

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Rédactrice

Membre du comité de Rédaction

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d'édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset

 

Pierrette Epsztein vit à Paris. Elle est professeur de Lettres et d'Arts Plastiques. Elle a crée l'association Tisserands des Mots qui animait des ateliers d'écriture. Maintenant, elle accompagne des personnes dans leur projet d'écriture. Elle poursuit son chemin d'écriture depuis 1985.  Elle a publié trois recueils de nouvelles et un roman L'homme sans larmes (tous ouvrages  épuisés à ce jour). Elle écrit en ce moment un récit professionnel sur son expérience de professeur en banlieue.