May Fly, Gérard Coquet (par Catherine Dutigny)
May Fly, Gérard Coquet, mai 2021, 256 pages, 18,50 €
Edition: Jigal
La mouche de mai est un insecte éphémère dont raffolent les farios, ces truites sauvages à la robe ornée de gros points rouges comme autant de gouttelettes de sang, qui pullulent dans les eaux pures des rivières irlandaises. C’est surtout le leurre préféré des pêcheurs à la mouche, et principalement, dans ce dernier roman de Gérard Coquet, le symbole d’une histoire où mensonges et manipulations, distillés par l’ex-comptable d’une organisation de blanchiment de l’argent de Daesh basée dans les pays de l’Est, fonctionnent à merveille pour brouiller les pistes et déstabiliser une enquêtrice de la Garda. Il faut préciser que l’homme a eu la très mauvaise idée de détourner une grosse somme d’argent et que son salut ne tient qu’à un fil : celui de sa sécurité qu’il négocie auprès des autorités policières irlandaises en échange de renseignements sur les comptes secrets de l’organisation.
Ce comptable, Salvatore Bonato, réfugié et gardé sous haute protection sur l’île minuscule et difficilement accessible d’Inishbofin au large du Connemara, entame un jeu du chat et de la souris avec les membres de la « Special Branch » de la Garda, et en premier lieu avec Ciara McMurphy qu’il a nommément désignée pour être son interlocutrice principale, sans rien dévoiler des raisons de son choix. Son temps est compté car il n’est pas sans savoir que ses anciens patrons sont lancés à sa poursuite et que leurs méthodes pour arriver à l’éliminer sont aussi sanguinaires, violentes et sans scrupules que celles utilisées par leurs clients terroristes sur d’autres champs de bataille.
Gérard Coquet livre dans ce troisième opus des enquêtes de Ciara McMurphy un récit d’une violence inouïe et ce, dès le premier chapitre qui dégoûtera à tout jamais le lecteur des agapes d’un ragoût bosniaque, le Bosanski lonac. Avec un scénario parfaitement huilé, il maintient la tension tout au long du roman, ce qui, de fait, entraîne une hécatombe de victimes, hommes et femmes confondus, sous les tirs croisés d’AK47 et de HK G36.
Mais on le sait, les Irlandais ne sont pas des enfants de chœur, surtout ceux qui ont eu des liens plus ou moins proches avec des membres de l’IRA, et c’est dans une guerre sans pitié, le plus souvent au-delà des limites du droit, y compris pour la police irlandaise, que vont s’affronter les multiples protagonistes de ce roman policier.
Si l’action se déroule au mois de novembre, sous les rafales de vent, les pluies incessantes, dans les tourbières inondées et dans des eaux à douze degrés, l’auteur sait également jouer de l’or du Paddy, ce blend si cher au cœur des Irlandais, de la mousse blanche d’une pinte de Guinness, du son enjoué et dansant du fiddle, de l’image d’un ventre féminin qui s’arrondit dans un début de grossesse, pour ménager des moments de calme et de bonheur dans cet univers peuplé de brutes. Il donne raison au vieux proverbe local qui affirme avec sagesse entre deux libations : « d’abord on boit, et après on discute ».
Il sait aussi, en amoureux des légendes celtiques, glisser à un moment crucial quelques références mythologiques, quelques mots de gaélique, et suggérer qu’un peuple héritier des pouvoirs magiques des Tuatha Dé Danann peut par la force et par la ruse venir à bout de tous les périls et de tous les hommes de main, fussent-ils barbus, bosniaques ou anciens du KGB.
Gérard Coquet nous emporte avec maestria dans une Irlande écartelée entre des forces obscures et la chaleur réconfortante d’un feu de tourbe. Un roman policier très puissant.
Catherine Dutigny
Gérard Coquet est né le 21 janvier 1956. Mais il jure encore qu’il n’y est pour rien. Issu d’une longue lignée de blanchisseurs, il passe son enfance avec sa jumelle à se cacher au milieu des draps séchés au vent. Puis dans un ordre aléatoire se succèdent le collège des Lazaristes, un diplôme d’expert-comptable, la guitare basse et la création de ses premières chansons. En 2011 est publié Malfront, les fantômes de la combe, aux éditions Inoctavo. Ce roman a remporté le Prix Plume de Glace 2012 de Serre Chevalier. Son roman Connemara Black, publié aux éditions Jigal polar, a remporté le Prix du Livre Insulaire policier en 2017.
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