Mauro Bolognini, une histoire italienne, Michel Sportisse (par Philippe Chauché)
Mauro Bolognini, une histoire italienne, Michel Sportisse, éditions Le Clos Jouve, décembre 2020, 155 pages, 24 €
« Il parvient à concilier les exigences en apparence contradictoires : celles d’une esthétique patiemment mûrie et celles de la liberté, de l’imprévu, de la miraculeuse naissance » (Michel Sportisse).
« Quand je sais que tout est en place, alors je me sens libre. Je ne recherche jamais les belles images, les beaux cadrages » (Mauro Bolognini).
« Il y a chez lui une démarche proustienne de reconstruction du passé dans un mélange de mémoire individuelle et de mémoire sociale, mais cette façon de revisiter le XIXe siècle et le XXe siècle n’est jamais une fin en soi, c’est une approche indirecte qui renvoie toujours à une méditation contemporaine » (Jean A. Gili).
Mauro Bolognini, une histoire italienne est un livre de cinéma, le livre d’un critique inspiré, comme le fut en son temps André Bazin (1) – le meilleur « écrivain » de cinéma : François Truffaut – ou Gérard Legrand (2). Le critique inspiré possède trois grandes qualités : la description précise des films, leur fine analyse, et la plus parfaite connaissance des cinéastes.
Michel Sportisse connaît parfaitement le cinéma de Mauro Bolognini, son esthétique, ses choix, et ses scénaristes. Il a vu et revu ses films, et il nous fait partager son savoir, et son regard sur cette aventure cinématographique de 1953 à 1991, comme il nous invite à découvrir et à comprendre l’Italie du metteur en scène. Les grands cinéastes s’approprient leur nation, leur caméra dévoile ce qui se voilait, se glisse entre terre et rues, fait entendre des langues, fait éclore des visages, fait surgir des odeurs, ce qu’a mis en lumière le néoréalisme. Bolognini prend un autre chemin, c’est un styliste attentif à la mise en scène, au monde qui l’entoure, mais aussi à l’Histoire italienne tumultueuse : le fascisme, Mussolini, la Résistance, la profonde transformation de la société italienne, les grèves, la paysannerie, des prostituées, mais sous l’heureuse emprise du cinématographe, où un travelling, où un gros plan, un éclairage, un décor donnent de l’épaisseur à l’histoire qui est en train d’être racontée.
« Les films de Bolognini ne sont jamais que des œuvres éprouvées dans une optique contemporaine. Ainsi s’explique la noirceur du regard proposé par le réalisateur. Cette noirceur s’appliquait aussi à l’acte créateur, menacé de ne plus pouvoir exprimer ce pessimisme-là et cette vérité-là » (Michel Sportisse).
Bolognini est un grand lecteur d’écrivains italiens et français, dont il s’inspirera et qui l’inspireront – Mario Pratesi, Mario Tobino, Ercole Patti, Stendhal, Alexandre Dumas fils. Ses dialogues sont ciselés, il filme avec la précision d’un écrivain qui sait bien écrire, il compose ses films, comme s’il avait à composer un roman, avec un grand avantage, tout va très vite lorsque l’on dit « moteur – ça tourne ». S’il est très attaché aux comédiens qu’il dirige – la liste est étourdissante, de Claudia Cardinale à Anthony Quinn, de Silvana Mangano à Marcelo Mastroianni, de Dominique Sanda à Alain Cuny et Totó – Mauro Bolognini l’est aussi à ses scénaristes. Il n’a cessé de dialoguer avec des livres et des écrivains, ce que relève avec justesse Michel Sportisse. Le plus important, celui qui aura fait ses armes chez Mauro Bolognini : Pier Paolo Pasolini. Il sera son scénariste pour cinq films, dont Les Garçons/La notte brava, un scénario que Pasolini adapte de ses Ragazzi di vita/Les Ragazzi : La notte brava nous propose un déroulé d’aventures sans autre conséquence que celle d’un instant de vie qu’on brûle intensément. Puis, ce sera La giornata balorda/Ça s’est passé à Rome, adapté de deux nouvelles d’Alberto Moravia, dont Pasolini fut très proche : Le premier quart d’heure du film est un des brûlots les plus accusateurs que l’on puisse ériger à l’encontre du développement économique italien. Pasolini devenu cinéaste, allumera à son tour des incendies dans le cinéma, affirmant qu’il voulait écrire sur du papier qui brûle.
L’histoire italienne de Bolognini est un mouvement permanent, celui d’une société qui se transforme, après avoir traversé des drames et des trahisons, un cinéma social, politique, et grandement artistique, entre drames et comédies, et qui est aujourd’hui un peu oublié. Michel Sportisse se livre là à un heureux exercice de résurrection, ce qui, on le sait, est le pouvoir du cinématographe : faire surgir du passé des ombres et des fantômes, et leur rendre la vie.
Philippe Chauché
(1) André Bazin a marqué par ses analyses et ses critiques toute une génération de cinéphiles, devenus cinéastes de La Nouvelle Vague. Très attaché à l’éducation populaire, il s’engagera après la Libération dans Peuple et Culture, participa à la fondation des Cahiers du Cinéma. Plusieurs ouvrages d’analyses cinématographiques témoignent de ce regard unique sur le cinéma dont Qu’est-ce que le cinéma (4 volumes, Editions du Cerf, 1959-1962).
(2) Gérard Legrand, critique de cinéma à la revue Positif, enseigna également à la Fémis. Proche d’André Breton, il participa à l’aventure surréaliste jusqu’en 1969. Il publia notamment Cinémanie (Stock Cinéma, 1979).
Michel Sportisse a publié chez le même éditeur (Le Clos Jouve) La Rome d’Ettore Scola.
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