Matignon la nuit, Nicolas Idier (par Philippe Chauché)
Matignon la nuit, Nicolas Idier, Plon, août 2024, 176 pages, 19 €
Ecrivain(s): Nicolas Idier Edition: Plon
« Je suis une sous-plume, comme il y a des sous-mains. Un bout de plume de demain, un vestige de plume. Une ou deux barbules, à peine. Je n’ai presque rien pesé dans l’organisation sans faille du cabinet du Premier ministre. Mon départ se fera sans un tremblement, sans le moindre frémissement » (Matignon la nuit, 17:00).
Cet éblouissant roman est dédié À toutes les plumes, celles qui officient dans l’invisible auprès des ministres et du Premier d’entre eux, celles qui se glissent dans ce roman, plumes romanesques pour la plupart, plumes françaises et chinoises, affûtées et anonymes parfois. Nicolas Idier, qui fut l’une des plumes du Premier Ministre Jean Castex, romance cette expérience, cette aventure unique entre les murs de Matignon – Matignon est un peu ma Cité Interdite, mon voyage intérieur.
Cette dernière journée et cette dernière nuit à Matignon est un révélateur pour le narrateur, l’écrivain, la sous-plume, ce révélateur, cet accélérateur, ce sont des migrants qui montent dans des nacelles d’éoliennes. Le conseiller est là pour répondre à la situation, pour le moins écrire quelques phrases qui devront nourrir le discours du Premier ministre qui devra y répondre. Le problème, c’est, sans temps perdu, d’écrire ce qui doit être dit plus tard par le locataire de Matignon, trouver ou retrouver le souffle, le mot, les mots justes, et les minutes, les heures qui défilent, les dernières du conseiller ne seront peut-être pas suffisantes.
Cette dernière nuit à Matignon n’est pas celle de la dernière chance, car la plume quittera quoi qu’il arrive son bureau au matin, mais c’est celle de l’accord à trouver avec soi-même, pour pouvoir partir serein et léger. Nicolas Idier et son double romanesque ne sont pas seuls à la tâche, à la réflexion et à la plume, il y a des conseillers encore plus proches du pouvoir : Conrad d’Alençon, qui ne craint pas les sautes d’humeur de la haute mer, Alain Robbe-Grillet qui le surveille d’un œil de son portrait accroché dans son bureau, Victor Segalen dont l’auteur partage les passions chinoises de cœur et de corps, ou encore Van Gogh qui le premier appela l’auteur pour le recruter à Matignon, Léna et sa citation de Joubert tatouée sur son épaule – Le plus beau des courages, c’est d’être heureux –, et des penseurs chinois, maîtres stratèges et éclaireurs éclairants, sans oublier le plus chinois des bordelais : Philippe Sollers, ami et éditeur de l’auteur, retiré dans son île, loin des tourmentes de Matignon (1).
« Matignon est à la fois, dit-on, le lieu de la damnation et celui de la rédemption. L’endroit où j’apprends ce qui m’était jusque-là apparu comme une vertu ringarde, une qualité d’un autre siècle : l’humilité. Si tu veux être sauvé, égare-toi. Si tu aimes, pars. Le discours a besoin de respirer. Moi aussi » (Matignon la nuit, 02:52).
Nicolas Idier nous offre là un passionnant roman, une étourdissante nuit à Matignon, si près du pouvoir et si près des livres, ce qui ne peut être que rassurant, même dans le doute le plus profond, ces auteurs sauvent les narrateurs plume légère de ses doutes et de ses absences. Chaque chapitre de cette nuit blanche s’ouvre sur une heure, se ferme parfois sur ces petites notations très chinoises tracées dans son carnet. Florilège : Voir l’envers des choses – Rester calme dans la tempête – et cette phrase lumineuse et inspirée par Musõ Soseki qui, nous précise Nicolas Idier, pratiquait l’art de l’observation de la lune entre 6 heures et 7 heures du matin : Une chouette hulotte s’envole dans un silence de lumière blanche et se pose en haut du hêtre pourpre. Cette chouette porte-bonheur accompagne l’auteur et le protège dans cette nuit très agitée, et protège ainsi ce roman de Matignon qui scintille dans la nuit parisienne.
Philippe Chauché
(1) « Nous nous sommes vus, et revus, parfois même par la grâce du hasard objectif des rues de Paris. A chaque fois, soufflait le vent d’une joie communicative et la sensation d’approcher une idée du bonheur »
https://www.lacauselitteraire.fr/hommage-a-philippe-sollers
Nicolas Idier est notamment l’auteur de La Musique des pierres et Nouvelle jeunesse (Gallimard, L’Infini), avec Makenzy Orcel d’Une boîte de nuit à Calcutta (Robert Laffont) et Dans la tanière du tigre (Stock).
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