Matières grises, Michel Joiret, Thomas Joiret, Romain Mallet
Matières grises, Michel Joiret, Thomas Joiret, Romain Mallet, Opium éditions, 2011, préface Werner Lambersy, 199 pages, 34,90 €
Comment définir, d’emblée, un « livre-architecture » qui, avec deux mots déjà habilement pensés sur la page de couverture, suscite et fait appel à nos émotions les plus profondes, les plus enfouies, les plus nécessaires ?
Car « marcher là où trempent les rayons » nous éclaire au-delà de nous-mêmes, consultés que nous sommes par notre propre infini, ce que révèle, notamment, le titre de « matières grises ».
« Vois ce que sont les Pattes de mouche de la pensée Les gargouilles inintelligibles de L’encre » clame à qui veut l’entendre (et aussi aux mouettes) Michel Joiret dans ce livre interrogatif au-delà du questionnement lui-même.
La chair et l’esprit, intergénérationnels, se muent en phrases concises et autres cabines de plage comme abandonnées dans la photo sublimant l’instant saisi par les talents alternatifs de Thomas Joiret et Romain Mallet combinant l’œil du professionnel aux mots d’un poète confirmé.
En effet, le reflet du temps brille dans les yeux du promeneur qui marche dans ses propres pas : « Et moi qui suis et qui peine à te suivre je te vois déferler Sur le miroir jaune de la digue Le temps sourit Qui te regarde luire Et moi je ris aussi d’être au plus seul de moi Si vivant que dans l’heure qui vient je pourrais être un autre ».
La tête dans les oiseaux avec des pages d’amour éparpillées au vent des souvenirs, l’auteur conquiert sa propre appartenance, ce qui sera aussi sa propre finitude.
Un grand livre de plage qu’on ne lit pas comme un coucher de soleil facile mais plutôt comme une tendre diffusion de brouillard : « L’oreille contre le sable et le sel dans les veines, j’écoute la chanson des pluies nouvelles ».
Le texte, en continu, telle une longue traînée de sable, inspire davantage de saveur que de solitude (celle-ci étant accompagnée) : « Et si je touche encore à l’icône des femmes, c’est dans le plus grand secret du doute et du regret ».
Le beau texte, en partie écrit sur fond bleu clair, révèle la pudeur et la jouissance secrète d’un amoureux de la mer, des mots et des êtres humains, dans ce va-et-vient marin que n’aurait pas renié la grande Marguerite Duras ou le poète breton Guillevic : « Je me fais penser aux orchestres de plage qui jouent la nuit quand la brillance des soies et le meilleur de soi se sont retirés ».
Mieux qu’un « livre de chevet », faites de ce livre votre plus beau souvenir de plage.
C’est du « Lelouch » écrit et je ne vous ferai pas l’injure de rappeler à quel grand film je pense.
Patrick Devaux
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