Matières Fermées, William Cliff
Matières Fermées, mars 2018, 256 pages, 16 €
Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde
Deux cent dix-sept sonnets, disposés en huit « liasses » de textes, relatent l’ordinaire de la vie passée et présente de l’auteur belge, naguère publié chez Gallimard, dont l’incipit commence mal : « Me voilà déjeté… honni » ; qui se clôt sur le terme « oblivion » (ignoré par le petit Robert) ; entre les deux, pour combler la dose de haine ressentie et l’oubli inévitable qu’un sommeil peut accomplir, le temps d’une nuit de répit.
Dans une langue, qui prend son temps, pâte épaisse, toute de participes présents et de conjonctives, densément syntaxique, le poète de Gembloux (qu’il honore de nombre de mentions) retrace l’enfance, l’adolescence, les années de formation et de déformation (Petit-Séminaire…), les « sujets » au travail de ses parents, son « pauvre corps abattu, abîmé », ses amours, ses rencontres de hasard, de fortune, la voyoucratie qu’il exècre, ces impolitesses notoires dont sont victimes les voyageurs de train : « un malotru orné de deux donzelles/ monta et fit sonner des musiques “nouvelles”/ dont il voulait nous imposer le plein régime » (p.141).
Le poète, pauvre Villon écrasé « sous le poids de tous mes chagrins », comme Ernaux, fait entrer en littérature les comparses de sa vie, les « sujets », les inconnus, et on lui saura gré d’écrire avec franchise ces vies aussi ordinaires que la sienne :
« Yvonne était blafarde, très pâle de peau
avec des cheveux ternes tombant sur l’épaule,
son regard délavé n’avait rien de très beau,
il paraissait hagard dans ce visage pauvre » (p.181).
…
« Ah ! laissez-les tranquilles ! disait notre mère,
Mais nous étions happés comme par des aimants
Vers ces étranges gens venus dans notre sphère
Savonner le plancher, nos plats, nos vêtements » (p.188).
Les parents, Mamoiselle Jeanmart, Annette Lambret, tant d’autres, « cet homme-là… qui fut notre terrible géniteur » en prennent pour leur plaisir ou pour leur grade.
Le poète, romaniste, errant magnifique de tant de terres convoquées dans d’autres recueils, est revenu, comme le brigand sur les lieux d’un crime, sauf que ce fut lui, poète, dénié, honni comme il le dit, qui fut, à Gembloux, victime. Et il y revint dans son grand âge. L’appel des souvenirs, des frères, et cette « pauvre Maman ! oh ! si patiente et courageuse ! » qui « pria pour nous malgré notre incroyance », en page 239, illumine de son souvenir ce trajet si souvent morose.
Philippe Leuckx
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