Matière des soirs, Philippe Leuckx (par François Baillon)
Matière des soirs, Philippe Leuckx, Éditions Le Coudrier, mars 2023, 70 pages, 18 €
Ecrivain(s): Philippe Leuckx Edition: Le CoudrierDe quoi est faite la « matière des soirs » ? À l’heure où le jour cède progressivement, mais si rapidement, la place à la nuit, à l’heure où les clartés finissantes, aussi belles que celles aperçues sur les photographies splendides de Philippe Colmant, persistent malgré elles dans ce puits qu’est l’horizon, le poète nous invite au partage de la mélancolie et de la solitude, dont ce moment singulier du crépuscule augmente l’intensité.
Qui suit-on ou que suit-on ? L’errement ou l’égarement du promeneur solitaire dans un milieu urbain, dans des perspectives de rues qui ont l’air tronquées : « les rues ne sont presque plus / des rubans de concorde » (p.19) ; « on a les mains trop grandes / pour ce si peu à cueillir / dans l’ombre » (p.20). Les pensées se dévident au rythme des circonvolutions du poète, qui ne semble entrevoir aucune quête en dernier lieu, si ce n’est celle, sans doute, de récolter un fond d’apaisement : « au loin une grive s’enivre / tout près l’enfant rêve / de vent léger » (p.17). Car il s’agit bien ici de pallier le manque : « Paysage grêlé de tombes et de visages / absents » (p.9) ; « Dans la maison / je cherche la présence / comme l’on monte les marches / pour trouver son rythme » (p.23).
Le poète trouve, dans ce qui constitue le crépuscule, la matière de son paysage intérieur : l’ombre y assoit son autorité, mais la lumière résiste sous les nuages qui s’amoncellent. La beauté d’un ciel encore éclairci peut paradoxalement être l’image de ses propres blessures : « le ciel s’ouvre comme une plaie / d’orange et de rouge » (p.30).
Les poèmes sont courts, comme jetés, et néanmoins éprouvés, profonds. On soulignera l’harmonie de leur forme : sans s’attacher à un jeu de sonorités, le chant émerge de la cadence de ces pensées, de ce qui semble être des sursauts de l’esprit. On croit entendre là un cœur qui s’emballe, les échos d’une ville un peu trop vide, et la persistance d’une âme qui rêve – qui, en dépit d’un chagrin envahissant, veut s’extraire du tunnel des ombres : « On est si peu de chose à soi (…) / Le début d’une éclaircie / Dans les déroutes d’une vie » (p.47). Le poème devient alors le compagnon de l’épreuve.
Ce recueil, au déversoir doux en apparence, est un combat contre la tristesse, combat que l’esprit de beauté aide à consolider.
François Baillon
Parallèlement à sa carrière d’enseignant, Philippe Leuckx est l’auteur de nombreux recueils de poésie et d’essais, ainsi que de nombreux articles dans plusieurs revues. Son œuvre a déjà été couronnée par plusieurs Prix Littéraires, dont les Prix Robert Goffin et Gauchez-Philippot pour Lumière nomade.
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