Mary Ventura et le neuvième royaume, Sylvia Plath (par Philippe Leuckx)
Mary Ventura et le neuvième royaume, mai 2019, trad. anglais Anouk Neuhoff, 48 pages, 5 €
Ecrivain(s): Sylvia PLATH Edition: La Table Ronde
En 1952, Sylvia Plath, vingt ans, écrivait une nouvelle que publie enfin La Table Ronde, dans sa version d’origine (refusée pour noirceur alors). C’est une nouvelle terrifiante. Mary Ventura et le neuvième royaume nous plonge dans un voyage ferroviaire de pure terreur. Le train serait-il celui de la vie, et le trajet sans retour ? Mary, quoique réticente, prend, à l’invite de ses parents, le train. « Un voyage de formalité » dira la mère. Mary se dit « non prête pour le voyage ».
Le lecteur comprendra très vite que son personnage est mal embarqué, et les situations décrites, les dialogues, l’enjoignent à prêter une attention vive à ce qui se déroule, selon le rythme d’une machinerie infernale. L’air de rien, l’auteure, jeune, instille un malaise qui ne fera que croître, station après station, « royaume après royaume ». On évoque la noirceur des tunnels, l’improbable retour, les fenêtres du train s’émaillent de drôles de figures.
La surprise sera-t-elle au bout de la route ? Ou la méprise ? L’art de la jeune romancière est d’inscrire une réflexion philosophique sur la trame du voyage : la vie, la mort, l’autre, le destin sont autant de stations que tout esprit rameute.
Dans la mouvance d’écrits assez noirs des années quarante (Orwell), Sylvia Plath s’inscrit aussi dans une littérature du péril : où allons-nous, en cette société ? Droit dans le mur des évidences ? Comme des voyageurs apeurés, menés à la baguette, comme un troupeau d’âmes déjà mortes ? La nouvelle, en tout cas, vibre de cette tension palpable, d’une existence sans cesse remise en question par les bouleversements d’un monde incertain.
Philippe Leuckx
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