Marseille Noir, nouvelles noires présentées par Cédric Fabre
Marseille Noir, anthologie de nouvelles noires inédites présentée par Cédric Fabre, mai 2014, 256 p., 21 €
Edition: Asphalte éditions
Tout écrivain est un jour ou l’autre géographe de son propre corps – s’il a lu Montaigne – mais aussi de sa ville, qu’elle soit réelle ou imaginaire. Les écrivains de romans noirs, qui ont le réel chevillé à la plume, ont depuis toujours attaché grande attention aux rues et aux places qu’ils parcourent chaque jour. Qui peut oublier le Paris de Léo Malet et de son détective Nestor Burma, qui arpente les arrondissements de la capitale, du Soleil naît derrière le Louvre, en passant par Micmac moche au Boul’ Mich’, ou encore Brouillard au pont de Tolbiac et Corrida aux Champs-Elysées pour sa série des Nouveaux Mystères de Paris. La ville ne dort jamais sous la plume de l’écrivain, et si elle s’assoupit, on a toutes les chances de penser que de bien vilaines choses s’y trament.
A leur manière, les Editions Asphalte se sont lancé le même pari, tracer à l’encre noire le roman multiple de la géographie urbaine et sociale des cités contemporaines, de Barcelone à Londres, de Mexico à Washington, de Los Angeles à Dehli, et aujourd’hui de Marseille à Marseille. De l’Estaque au Stade Vélodrome, de La Belle de Mai au Panier, de La Joliette à Belsunce. Le décor, qui n’est jamais d’opérette, abrite et révèle mille fâcheux, farceurs et héros plus ou moins glorieux. L’aventure est toujours au coin d’une rue que balaye le mistral ou une arme automatique, question de climat ou de malchance.
« Le problème des secours, ça a été de choisir par qui commencer : le minot fumé à coups de 357 au pied de ses poubelles ou le charnier du rond-point de la Cayolle. Ils ont commencé par le carambolage, un problème plus complexe et moins fréquent qu’un règlement de comptes entre dealers. Parce qu’à Marseille, le vrai problème, c’est qu’il est plus facile d’aller exécuter un contrat que de circuler en bagnole » (« Le problème du rond-point », Philippe Carrese).
Tout écrivain marseillais de raison, d’adoption ou de sang, a sous la main une palette de mots et de maux qui n’attend qu’une phrase nette, claire et sèche pour éclairer ses intrigues. Une géographie de langues, de lieux plus ou moins communs, d’éclats de rire et de frayeurs, qu’il faut ramasser, concentrer, en évitant d’y ajouter trop d’eau, au risque de les noyer, comme le conseille tout garçon de café qui vient vous servir un verre d’une boisson jaune alcoolisée et de réputation mondiale.
« On sortait tous armés, c’était l’époque qui voulait ça. Les minots d’aujourd’hui ils font les durs mais ils font que faire, ils font les durs pour être durs, comme le placo chez Boulanger. Les années 1980 là ça craignait vraiment. Maintenant ils me font rire avec leurs trois cadavres par mois. Recompte un peu fils à l’époque le massacre que c’était, à Belsunce tu mettais ni les pieds ni les mains, et ta fille pour éviter le centre elle faisait tout le tour par Cassis et avant dix-huit heures » (« Katrina », François Beaune).
A leur manière les écrivains de cette anthologie marseillaise noire se livrent à des exercices de style souvent éblouissants, troublants, touchants, burlesques, où l’on croise de jeunes truands énervés, des immigrés à la dérive, un supporter de l’OM à la larme légère, un policier comorien vertueux, des dealers, des braqueurs, des amuseurs publics. Jeux de mots, et souvent jeux de malins qui finissent mal. Malice de l’écriture et plaisir du lecteur.
« Maintenant, saute, ou je t’explose la tête ! C’est ta dernière chance.
Il s’est recroquevillé. Il n’était plus qu’une boule noire sur le chemin clair. Un petit tas d’horreur. J’ai tourné le fusil vers le canal et j’ai appuyé sur la détente. La détonation a pulvérisé la nuit. Elle a cogné contre les collines, roulé dans les vallons, est allée frapper contre les rochers de la barre de l’Etoile ».
Marseille Noir, refermé, et en attendant de l’ouvrir à nouveau, on se souvient du styliste du roman marseillais, Jean-Claude Izzo qui n’est pas pour rien dans ce qui s’écrit aujourd’hui entre Le Vieux Port, Le Panier et Longchamp. Marseille ne se couche jamais, et ses nuits comme celles de ses écrivains ont mille rêves à nous raconter, des plus terribles aux plus délicieux.
« On marcha le long du quai… En silence. Serrés l’un contre l’autre. Je me demandai un instant où était ce fumier. Car il ne devait pas être loin, Narni. A nous épier. A se demander quand, enfin, il pourrait me planter une balle dans la tête. Il devait en rêver. Moi aussi » (Jean-Claude Izzo, « Chourmo », Série Noire, Gallimard).
Philippe Chauché
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