Marion Dessaules, MJW Editions, février 2020 (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Le devoir de se dire : Marion Dessaules
A travers le roman, les nouvelles et ses mémoires de jeunesse, Marion Dessaules – qui a connu sous plusieurs registres l’expérience de la folie – finit par exprimer la souffrance et divers enfermements grâce à la lecture et la pratique de la littérature et son devoir de casser le silence.
L’œuvre sous toutes ses formes est forte, puissante. D’une certaine manière implacable même si l’humour et la distance évitent tout pathos. Il y a là « juste une voix » mais surtout une voix juste.
Marion Dessaules lance à la cantonade des intimités défaites ou reconstruites. Un chant sourd renaît, il entrecroise les choses douloureuses aux paroles de relance. Se dessinent des intimités d’égarés, des pertes, des fragments du passé et parfois un ciel de marguerites envolées.
A travers leurs miroirs, ces trois livres ne sont pas que des tutoriels contre l’angoisse mais une manière d’agir et d’avancer. La parole ne s’épuise pas, bien au contraire. Marion Dessaules à l’épreuve piétine volontairement la ligne folle de démarcations douteuses et les glissements mortifères de son passé comme celui de ses personnages.
Celle qui devait retirer le soutien-gorge de sa mère obèse et folle, dans un pathétique jeu qu’on lui imposa, renaît de ses cendres et lutte contre bien des troubles. Elle déracine les sentences prononcées à l’aune des jugements des autres (fussent-ils psychanalystes) tout au long des cellules d’enfermement.
Contre certaines suffisances des maîtres et bien des insuffisances de victimes qui se persuadent de leur vacuité, il ne s’agit pas d’accorder des pardons mais de briser des murs des mauvaises raisons ou des fantasmes que les autres imposent.
Crachant au pied de leurs certitudes, l’auteure avance, lime les limites des réclusions et du délitement. L’auteure comme ses personnages se déligotent de leurs limites vers des traversées qui ne font plus d’elles uniquement des gouffres instrumentalisés. Les voix poussent les mots bloqués dans la gorge. Ce ne sont plus ceux de Sisyphe en robes et talons. Une étymologique du corps sort des nuits des décennies de démence. Bref la langue avance, refuse la chute comme le silence.
A l’écoute de soi, les mémoires se défont des mensonges des vieux dires. Les mots disloquent l’obéissance apprise par la soumission. Les personnages comme l’auteure elle-même ne sont plus dupes de cuisines perverses et imposées. Beckett a écrit « Il faut dire des mots », et l’auteure les ramène à la surface pour le passage du poids de la chair et d’un geste qui s’ose enfin. C’est la mutinerie contre le silence et les confinements.
Jean-Paul Gavard-Perret
Ni le sol ni le soleil (164 pages, 24 €), Juste une voix (150 pages, 23 €), Une enfance aux éclats (132 pages, 20 €) : Marion Dessaules, MJW Editions, février 2020
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