Marie-Antoinette, Stefan Zweig
Marie-Antoinette, Traduit de l’allemand par Alzir Hella, 506 pages, 7,60 €
Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Le Livre de Poche
L’inconvénient de n’en faire qu’à sa tête
Les biographies écrites par Stefan Zweig sont un régal. Celle qu’il a consacrée à Marie-Antoinette, reine de France, un pur chef d’œuvre.
Stefan Zweig écrit des livres d’histoire en romancier : sous sa plume légère, profonde et spirituelle tout semble évident et tout paraît clair.
Mariée à 14 ans avec un homme qu’elle n’avait jamais vu et qui était son exact contraire, la princesse autrichienne avait tout pour être heureuse.
« Aucun poète ne saurait imaginer contraste plus saisissant que celui de ces époux (…). Il est lourd, elle est légère, il est maladroit, elle est souple, il est terne, elle est pétillante, il est apathique, elle est enthousiaste (…). Il est d’une société rigide, elle est éperdument mondaine, il est humble et modeste, elle est coquette et orgueilleuse, il est méthodique, elle est inconstante, il est économe, elle est dissipatrice, il est trop sérieux, elle est infiniment enjouée, il est calme et profond comme un courant sous-marin, elle est toute écume et surface miroitante ».
Mais elle ne vit que pour ses plaisirs et ne voit ni les malheurs de son peuple accablé par les impôts et la misère, ni les intrigues de la cour qu’elle déserte, préférant se réfugier dans le petit Trianon, paradis sur terre où elle passe ses années les plus joyeuses et les plus insouciantes. Mais où, en se coupant de la cour et du peuple, elle scelle inconsciemment son destin tragique.
Sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, montre sa lucidité et lui dispense des conseils à distance ; connaissant son aversion pour l’étiquette, elle la met en garde :
« J’en connais tout l’ennui et le vide ; mais, croyez-moi, s’il n’y en a pas, les inconvénients qui en résultent sont bien plus essentiels que les petites incommodités de la représentation, surtout chez vous, avec une nation si vive… ». Bien vu.
Vivant en vase clos, le roi et la reine ne voient jamais leur peuple et le frère de Marie-Antoinette, Joseph, connaîtra mieux les Français pendant les deux mois où il viendra rendre visite à sa sœur qu’elle en 20 années de règne.
Zweig décrit admirablement la Cour de France, ramassis de parasites, d’incompétents et d’idiots qui n’ont rien d’autre à faire qu’à médire quand ils ont fini d’encenser ce qui est à la mode ; plus que les révolutionnaires, ce sont eux qui vont précipiter la chute de la monarchie et, par un mélange de bêtise, d’envie et de méchanceté, y perdre leurs privilèges. Le pire reste le duc d’Orléans. « Coureur de femmes, joueur, viveur, élégant, inintelligent et au fond pas méchant, cet aristocrate souffre de la faiblesse propre aux natures qui ne sont pas créatrices : il est orgueilleux mais d’une façon purement extérieure ».
D’abord adulée, Marie-Antoinette se voit peu à peu détestée, par ses alliées d’hier, les sœurs de Louis XV et par le frère du roi lui-même, le futur Louis XVIII, prototype du politicard lâche et véreux. « Sournois et ténébreux, intriguant et prudent », il « oscille à droite et à gauche » « pour ne pas se compromettre prématurément ». « Il voit sans déplaisir les difficultés croissantes du régime ; (…) telle une taupe noire et silencieuse il creuse ses galeries souterraines et attend que la position de son frère soit suffisamment ébranlée ».
En exil, « il contribue vaillamment (…) à creuser la tombe de son frère, de sa belle-sœur et de son neveu dans l’espoir (…) de trouver dans leur cercueil la couronne rêvée ».
A partir de l’affaire du collier de la reine où Marie-Antoinette se fait traîner dans la boue alors qu’elle est totalement innocente, elle connaît une lente descente aux enfers.
Seul moment idyllique de sa vie d’adulte, sa liaison amoureuse avec Axel Fersen, qui fut à la fois « ami et amant, confident et compagnon » dont Zweig démontre la profondeur et la beauté, tordant le cou à la légende de la reine vertueuse : « car jamais une femme n’est plus honnête ni plus noble que quand elle cède librement et complètement à des sentiments qui ne trompent pas ».
Zweig n’est guère plus tendre avec les révolutionnaires qu’avec les nobles. Il les décrit comme des dictateurs à la petite semaine, des corrompus, des incultes ou des crétins, le pire étant Hébert, affligé de toutes ces qualités auxquelles il joignait la lâcheté et la propension à l’insulte et à la grossièreté. Certains, hélas, présentent de fâcheuses ressemblances avec des politiciens d’aujourd’hui. On se dispensera de citer quelques noms.
Quant aux compatriotes de Marie-Antoinette, pas un à la cour de Vienne ne leva le petit doigt pour lui venir en aide : Marie-Thérèse et Joseph sont morts et les autres se fichent éperdument qu’on la raccourcisse. Le seul qui se démena jusqu’au bout, au risque de sa vie, c’est Fersen qui resta inconsolable de la mort de l’amour de sa vie.
Un chef d’œuvre passionnant que chaque lecteur se doit de découvrir ou de relire, surtout vous mes adorables lectrices que ce triste destin accable et fascine (j’en mettrais ma tête à couper).
Fabrice del Dingo
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