Marguerite Duras, Romane Fostier (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Marguerite Duras, septembre 2018, 304 pages, 9,40 €
Ecrivain(s): Romane Fostier Edition: Folio (Gallimard)
Les Incursions secrètes de Duras
Dans l’œuvre de Duras chaque mot est une incantation – celui qui appelle l’esprit le fait apparaître – et l’auteure fit jaillir des lieux secrets contre lesquels on se penche, au bord de rien. Il y a là des nids d’errance, des espaces de repli qui sont comme des angles morts du monde à l’intérieur de soi.
Et Romane Fostier en remonte l’histoire à travers celle de Duras – de l’enfance rebelle en Indochine jusqu’à sa retraite à Neauphle-le-Château. Pas de scoop dans cette biographie mais cette façon de montrer comment les bourgeons portent des écailles pour renvoyer la lumière en éclats. Le chemin de Duras est un espace aux lisières presque closes, une sorte d’utopie dont l’accès est blotti derrière des paupières où se cachent bien des douleurs.
La biographe les pénètre pour montrer comment la romancière et cinéaste sut lâcher les freins, fendre l’œuf du monde, s’inclure dans l’élan jusqu’à pulvériser les restrictions du regard, accueillir l’éperdu dans la chambre flottante de l’esprit rebelle et acéré.
Changeant à vue le roman de sa vie, Duras ouvrit la porte du réel pour transformer sa création en tapis volant afin d’ouvrir sur un autre climat, une autre contrée, comme une ouverture sur notre propre altérité. Tout se rue, tout s’agrège sur une ligne de faille. Au pli d’un tremblement de la vie le monde devint un tableau étrange.
Romane Fostier montre comment l’imaginaire se tisse sur des pièces manquantes. L’absence est un lieu de rebond, un espace de retournement. Ombre et lumière dérapent et se trament entre les angles des amours et des luttes.
Autour de Duras il y a des connus, des inconnus architectes d’espoir ou de désespoir. Et la biographe signifie comme des folies sifflaient autour de la créatrice dont le tombeau est ici construit de ruines incandescentes sous la lanterne des fruits verts et de ceux que l’hiver a gelés.
Duras devient ce qu’un dit un tek livre et c’est ce qu’on n’ose pas toujours dire d’elle chez ses anciennes biographes : se donner aux autres pour avoir de l’argent. L’amant, le chinois – c’était du fric pour la famille qui ne saura rien de ses frasques. « Pute » dit Duras elle-même non sans fierté. Et pas seulement de la côte normande.
Sainte et manipulatrice aussi. Du silence entre ses voix impénétrables. Derrière la vitre. De divers taxis qui la mènent là où elle se donne pour sauver son homme du pire. Une sorte de Piaf – sa chanteuse préférée. Même si Duras la musique c’est moderato cantabile.
Duras c’est aussi le bleu de la mer. Argent de la rivière. Pythie en Vologne pour transgresser le passé et le mettre aux arrêts. Sorcière par intelligence. Impasse et excès. Le charme du trivial des histoires d’amour. Marguerite voit des mariages d’amour partout. Capri n’est jamais fini. Yann est arrivé. Mais son théâtre est « melancolia ». Ne peut s’y jouer que la passion. Et le manque. A partir de la froideur la chaleur est intense. C’est pourquoi elle aime tant Racine. Ne pas le jouer mais le lire et le relire.
Duras c’est encore l’alcool – l’enfer, le néant. Le Central. Les glaces de Pont l’Evêque après les tartes salées l’année d’avant. Remettre du rouge à lèvres. Yann en miroir pour la guider. Avant qu’il disparaisse lui aussi. On le cherche. Au couvent paraît-il. Mais la biographe n’en est pas sûre. Seul signe de vie une silhouette assise. Mais le livre permet de regarder encore. Lumière faible. Couleur aucune. Percussion pianissimo de bout en bout.
Jean-Paul Gavard-Perret
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