Mangés par la terre, Clotilde Escalle
Mangés par la terre, mars 2017, 196 p. 17,50 €
Ecrivain(s): Clotilde Escalle Edition: Les éditions du SonneurVoici un court roman plein de violence et d’amertume, porté par une écriture qui ne l’est pas moins, tendue et inattendue, capable de surprendre à chaque ligne.
Nous sommes dans une province française fantasmée plus que réelle, à une époque hors du temps. Toutes les pages du début font penser à un tableau provincial du XIXème siècle ou du début du XXème et quelle surprise quand on entend parler de la mort de Sylvia Kristel, ou de l’Iphone ! Tout, les gens, les lieux, les comportements mènent le lecteur dans un déplacement dans le temps plus que dans l’espace. Et le rythme imposé par le style de l’auteure donne à cette histoire une dimension de fable noire qui se préoccupe peu de vraisemblance et atteint son but : l’inquiétude permanente.
Nous sommes donc dans un bourg quelque part en France. Clotilde Escalle va promener son récit dans une palette de personnages qui, tour à tour, seront la focale de ses récits. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais des bribes d’histoires de gens enfoncés dans la plus profonde misère morale. Des trois frères cinglés qui tendent des fils de métal sur les routes pour écrabouiller les voitures et les gens qui sont dedans, jusqu’au notaire – caricature du notaire de Province, sorte de Emma Bovary au masculin – sa détresse sexuelle et sa musique baroque.
Clotilde Escalle utilise de violents contrastes dans ses portraits, rendant possible, à chaque instant, les pires surprises.
« Paul ne les a pas accompagnés. Des trois frères, il est le plus fragile. Obsédé, sidéré par sa présence au monde, il récite des poèmes pour se consoler. La semaine dernière, après avoir dû tuer, en les jetant violemment contre le mur de la remise, une portée de chatons, en entendant les craquements, il s’est mis à penser au crâne, à ses propres os sous la peau. La poésie et les éclairs au chocolat le détournent un instant de ce genre d’idées ».
Les invraisemblances, qu’on a déjà pointées, constituent en fait un matériau romanesque chez Escalle. L’invraisemblable – comme la caricature des figures – est un élément nécessaire à créer un monde hors monde, qui donne au roman son espace fabuleux. Ainsi, les scènes les plus sombres du livre se passent dans un « asile » psychiatrique, où deux des frères, enfermés pour folie, vont transformer une jeune aliénée en esclave sexuelle, la violant plusieurs fois par jour jusqu’au martyre. Il y a longtemps que les « asiles » n’existent plus (même en Province) – surtout des asiles où ce genre de faits est possible. On se croirait revenu – et encore – dans quelque lieu sorti de « Histoire de la folie » de Michel Foucault. On y attache même les vieux pour qu’ils ne dérangent pas le personnel ! Mais l’auteure, visiblement, s’amuse de ça, en fait sa pâture, son propos étant ailleurs, le conte horrifique pur. Et le tour est réussi. Comme rien, ou presque, n’adhère au réel, on est installé dans un conte noir qui relève du fantastique.
Comme Jeanne, simplette, amoureuse d’Eric, rêveuse, au point d’en créer un double d’elle-même, un « commentateur » imaginaire de sa vie.
« Un trou argileux rempli d’eau. Jeanne croit y voir un visage. Dans le miroitement des yeux, une bouche qui se tord. Voyons, Jeanne, un peu de bon sens ! »
Entre noirceur des personnages et terreur du récit, Clotilde Escalle réussit un roman plein d’inquiétude et de tension littéraire. Une plume à suivre avec intérêt.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
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VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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