Mandela et moi, Lewis Nkosi (par Patryck Froissart)
Mandela et moi, trad. anglais (Afrique du Sud) Charlotte Woillez, 256 pages, 21,30 €
Ecrivain(s): Lewis Nkosi Edition: Actes Sud
La collection Terres solidaires, créée en 2007, repose sur un principe de « restitution » au Sud de textes littéraires écrits par des auteurs africains, publiés initialement au Nord. Par le biais de la coédition solidaire et grâce à l’appui d’éditeurs français, des éditeurs en Afrique publient ainsi à des prix les plus accessibles possibles pour le lectorat des textes majeurs d’auteurs africains.
Date de publication de la version panafricaine : 2011, 360 pages
Prix au Rwanda : 3.300 RWF
Belle découverte que ce roman aussi succulent que truculent, offert par une collègue lors d’une mission au Rwanda !
Tout en se laissant aller au rythme soutenu des aventures et mésaventures de Dumisani Gumede, le héros, depuis son enfance jusqu’à un âge avancé, le lecteur assiste à une succession de scènes pittoresques de la vie quotidienne d’une famille zoulou et de son entourage rural et tribal de la région de Mondi.
Dumisani, fils de chef, est un admirateur inconditionnel de Nelson Mandela, dont il suit, durant toute son enfance et adolescence, avec une passion sans réserve, dans les colonnes du journal I-Qinizo, d’abord les discours militants de lutte contre l’apartheid puis le jeu de chat et souris entre le grand homme entré dans la clandestinité et la police lancée à sa poursuite. C’est ainsi qu’après avoir terminé ses études dans le collège local, Dumisani crée un club de football local sous l’appellation « Club Nelson Mandela ».
La fascination qu’exerce le personnage de Madiba sur Dumisani n’est pas seulement d’ordre idéologique. Elle tient aussi à la réputation de séducteur infatigable du guide politique sur qui, en ce domaine également, notre héros s’efforce de prendre exemple en multipliant les conquêtes féminines dans toute la région, ce qui est vu traditionnellement ici comme trait de haute valeur, mis en avant par les chants sans équivoque des femmes lors de l’initiation rituelle qui marque, pour un adolescent, la sortie de l’enfance et l’entrée dans le cercle des hommes capables d’enfanter.
Dumisani, fils du lion Gumede, était à présent libre de se mêler à la foule au vu et au su de tous. Les filles du clan Mandeni se mirent à chanter :
Faites entrer le taureau dans l’arène !
Faites entrer le taureau dans l’esibayeni,
Et amenez-lui la vache la plus accueillante
Aux flancs larges
Et à l’arrière-train haut,
Que le taureau puisse la flageller.
La suite du chant est tellement crue qu’on ne la reproduit pas ici…
Son activisme politique et son tableau de chasse sexuel lui valent l’attention de plus en plus vigilante de la police régionale et la vindicte de plus en plus agressive des pères de famille dont les filles lui ont abandonné leur virginité dans les plus sublimes extases, à l’exception de Nobuhle, celle de qui il est passionnément amoureux et qui repousse dédaigneusement, orgueilleusement, ses parades et ses avances.
Qu’importe ? Dans l’un et l’autre registres, l’ardeur d’un Dumisani grisé à la fois par les succès et par l’aura politique grandissante de son icone et par ses propres conquêtes de séducteur local, loin de décroître malgré les menaces et les risques, transgresse toutes les bornes jusqu’au jour funeste de l’arrestation de Mandela et de son incarcération à Robben Island.
Coup de théâtre dans la « carrière » de Dumisani, aux conséquences tragiques qu’il appartient au lecteur de découvrir.
La prégnance du récit tient d’une part au suspense que produisent l’ascension locale de Dumisani, sa relation complexe avec la belle Nobuhle, l’attraction mimétique exercée sur le héros par le personnage de Mandela, la mise en parallèle du destin de notre coq de village avec celui du grand résistant, et d’autre part et simultanément à l’expressivité des scènes sur lesquelles toute cette trame narrative prend appui et fond pour impliquer le lecteur dans la vie ordinaire, les mœurs, les relations sociales, la culture, les traditions, les rites, les rituels initiatiques de cette communauté zouloue.
Un délice !
Patryck Froissart
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