Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible, Marie-Hélène Prouteau (par Philippe Leuckx)
Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible, mars 2021, 158 pages, 19 €
Ecrivain(s): Marie Hélène Prouteau Edition: Hermann
L’art, souvent, retient les grandes figures, les chefs d’école, les novateurs. Il néglige les figures secondaires même si elles ont joué un certain rôle dans la conception artistique d’un peintre ou d’une école. La fin du XIXe a été particulièrement riche en écoles de toutes sortes. Impressionnisme, divisionnisme, cloisonnisme, nabis, symbolisme. Marie-Hélène Prouteau nous embarque pour une découverte des années 1880-1890.
Madeleine, la sœur cadette du peintre Emile Bernard que l’école de Pont-Aven a rendu célèbre, recueille ici l’attention de la romancière qui lui consacre tout un livre. Figure retirée, à l’ombre de la musique et de la piété fraternelle envers un frère fantasque, créatif, déluré, mature et indiscipliné, au grand dam de ses parents.
Des années passées dans le nord, le long de la Deûle, puis à Paris, à Courbevoie, à Asnières. La frêle et blanche Madeleine, à la santé délicate, accompagne au piano les années où son grand frère entame son apprentissage de peinture (à l’atelier Cormon d’où il sera renvoyé) et cueille les rencontres importantes (Schuffeneker, Gauguin, Van Gogh, Anquetin). Il passe par l’impressionnisme, le pointillisme, cède aux aplats japonisants. Participe aux premières expositions.
Pendant ce temps, Madeleine, qui ne supporte pas qu’on ne parle que de peinture, se lie d’amitié avec Charlotte Joliet et découvre les paysages que le chemin de fer nouveau crée de toute pièce. La vie moderne entre dans les demeures.
L’écriture vive, en petites scènes et phrases économes, retient l’attention du lecteur qui en apprend beaucoup, et de manière légère, sur ces années 1880-1890, en matière de musique, d’intérêt culturel, de plastique picturale en général. On reconnaît là le style de l’auteure, descriptif, aéré, simple et prenant. Les mots entourent avec affection la petite Madeleine. Pont-Aven est le clou de ce récit vrai : la rencontre de Madeleine et de Monsieur Gauguin qui lui brosse son portrait, la fréquentation des peintres modernes et des haut-le-coeur des bourgeois outrés : « il faut outrer la couleur » disent les nouveaux peintres. Gauguin file à Arles, rejoindre Vincent Van Gogh. Les dernières années sont dures pour Madeleine, toujours si dévouée pour son frère.
L’histoire de Madeleine nous émeut. L’ombre légère qu’elle a été pour ses proches s’est insinuée en nous, fortement, et ce, grâce au talent sûr, léger et sensible de l’auteure de son récit. L’ouvrage est suivi d’une riche bibliographie, ce qui montre à l’envi combien la romancière s’est bien documentée pour nous offrir ce destin singulier, cette « ombre » négligée de l’histoire de l’art.
Un très beau livre.
Philippe Leuckx
Marie-Hélène Prouteau, romancière française, née en 1950, est l’auteure de : La Petite Plage ; La Ville aux maisons qui penchent ; Le Cœur est une place forte ; Madeleine Bernard, La songeuse invisible.
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