Ma vie toute crue, Mauricio Garcia Pereira (par Arnaud Genon)
Ma vie toute crue, Mauricio Garcia Pereira, Plon, Coll. L’abeille, janvier 2021, 176 pages, 8 €
Edition: Plon
« Meat is murder »
En 1985, dans Meat is murder, sa chanson pamphlétaire contre la consommation de viande (devenue hymne de la cause végétarienne), le leader des Smiths, Morrissey, s’adressait à ses auditeurs et leur demandait : « Do you know how animals die ? ». La réponse venait rapidement, comme un cri refoulé, cinglant : « It’s not comforting, cheery or kind / It’s sizzling blood and the unholy stench / Of murder » (1). Quelques trente ans plus tard, en France, Mauricio Garcia Pereira, ouvrier à l’abattoir de Limoges, un des plus grands de France, lançait l’alerte dans un livre que rééditent aujourd’hui les éditions Plon dans sa Collection de Poche. En se gardant de toute radicalité, il décrit un univers insupportable où victimes et bourreaux sont maltraités, soumis à la violence de l’industrialisation de la mort animale.
L’histoire de Mauricio Garcia Pereira est celle d’un homme ayant grandi dans une ferme d’élevage en Galice. Après avoir cumulé les petits boulots précaires, il pense avoir trouvé, dans le CDI que lui offrent les abattoirs de Limoges, la sécurité et la stabilité professionnelle dont il avait besoin, dans une vie qui avait été jusqu’alors un peu chahutée. Cependant, ce qu’il découvre rapidement, c’est « un monde à part », « un microcosme viril très fortement hiérarchisé ». Ceux qui montrent des faiblesses sont immédiatement considérés comme des « pédés ». À l’abattoir, il y a les cris des animaux – comment pourrait-il en être autrement – mais aussi ceux des chefs qui imposent un rythme intenable et rabaissent les hommes : « Une fois que tu as pris ton poste sur la chaîne, on te pousse jusqu’au bout, il n’y a pas de limites. Tu piétines dans la merde à longueur de journée, et on te fait bien comprendre que tu en es toi-même une ». Ainsi, à leur tour, les hommes maltraitent les animaux : « Comme un ouvrier ne peut pas mettre un coup de bâton à son chef, c’est à l’animal qu’il le met ». Douleurs physiques, douleurs psychiques sont le lot des travailleurs qui, une fois le week-end arrivé, ne pensent qu’à une chose : boire, « s’exploser la tête pour pouvoir dormir d’un sommeil sans rêves ».
Mais bien sûr, ce que dénonce ici l’auteur, ce n’est pas tant – ou pas seulement – les conditions déplorables de travail, que celles dans lesquelles sont abattus, tous les jours, plusieurs centaines d’animaux. Les descriptions, sans concessions, ne visent qu’à révéler le fonctionnement de l’abattage à la chaîne dont le seul mot d’ordre est le rendement. Ainsi, l’animal n’est plus animal, il est chose dont on découpe les différentes parties, les différents organes. Parfois, suspendue à plusieurs mètres de hauteur, avant d’avoir été vidée de son sang, la bête se réveille « et donne des coups de pattes, ses yeux révulsés, l’odeur de la peur […], les meuglements désespérés ». Ce qui décidera Mauricio Garcia Pereira à sa prise de parole, c’est l’abattage des vaches gestantes : « Parfois, on attend exprès une vingtaine de minutes avant d’ouvrir la vache, pour que le veau prêt à naître se noie dans le liquide amniotique. La mère est déjà morte depuis un bon moment, mais on voit encore son ventre qui remue. Si on ouvrait la poche et qu’on secouait le veau, il pourrait vivre ».
Nulle éthique, nulle dignité, ni pour l’homme devenu barbare, ni pour l’animal martyrisé : « Parfois, il nous arrive de donner des coups de pied dans des têtes d’agneau ». Arrive un moment où l’auteur ne peut plus. Il lui faudra parler, témoigner, pour ne pas sombrer lui-même. C’est grâce à l’Association L214, de laquelle il n’est cependant pas adhérent, qu’il pourra filmer ce à quoi il assiste et participer à la nécessaire prise de conscience de ce que signifie manger de la viande.
Deux ans après la première parution de son livre, le lanceur d’alerte fait cependant un triste constat. On a beau savoir, « rien n’a changé ». « Il est urgent de réagir, à la fois pour les animaux et pour les hommes qui les abattent chaque jour. Car nos abattoirs manquent cruellement d’humanité ». Le constat est sans appel. Morrissey avait raison : « Meat is murder ».
Arnaud Genon
(1) Sais-tu comment les animaux meurent ? / Ce n’est ni réconfortant, ni joyeux, ni gentil / C’est du sang qui grésille et l’odeur nauséabonde / Du meurtre.
Mauricio Garcia Pereira est né en Allemagne, a grandi dans une ferme de Galice en Espagne, où il a appris à aimer et respecter les animaux. Après avoir exercé plusieurs métiers, il arrive à Limoges où il se fait embaucher dans le plus grand abattoir public de France. Il signe ici un témoignage choc sur le scandale des mauvaises pratiques des abattoirs au mépris de la souffrance animale.
- Vu : 1441