Ma vie dans les monts, Antoine Marcel (par Gilles Banderier)
Ma vie dans les monts, avril 2018, 226 pages, 17 €
Ecrivain(s): Antoine Marcel Edition: Arléa
Après avoir, comme on dit familièrement, roulé sa bosse et exercé des professions aussi diverses que, parfois, surprenantes, dont celle de scaphandrier sur (ou plutôt sous) une plate-forme pétrolière au large de l’Afrique, Antoine Marcel, auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux spiritualités orientales, s’est retiré dans un coin de France qui s’appelait jadis la Xaintrie, entre la Corrèze et le Lot, plus précisément dans la commune d’Altillac, où réside déjà une autre personnalité, Marcel Conche, dont c’est le village natal. Le philosophe d’Épicure en Corrèze est également (ce n’est pas l’aspect le mieux connu de son œuvre) traducteur de Lao-Tseu.
Ma Vie dans les monts revêt la forme d’une suite de notations non datées, alternant considérations sur le zen et remarques sur l’existence quotidienne dans une campagne reculée. Pour un lecteur qui réside dans une grande ville et passe plusieurs heures chaque jour dans des métros ou des trains de banlieue, les remarques sur le bois qu’il faut couper et empiler, le terrain environnant à entretenir, les arbustes à planter, seront d’un exotisme roboratif. Pour quelqu’un qui se trouve dans la même situation qu’Antoine Marcel et qui accomplit les mêmes besognes, de telles observations seront banales.
La tension entre la ville et la campagne est au moins aussi ancienne que cette métropole trépidante que fut la Rome antique. À toutes les époques, on a projeté sur une campagne idéalisée des rêveries bucoliques de repos et de paix. Antoine Marcel ne cèle pas que la vie à la campagne est difficile, en particulier à une époque où le monde urbain, avec ses ronds-points, ses « aménagements », son béton, son toc, a fini par déteindre sur le monde rural. Les villages ayant perdu leurs commerces, on aboutit à une situation paradoxale, où voitures et grandes surfaces sont encore plus importantes à la campagne qu’à la ville. Soit quelqu’un qui résiderait sur le causse de Gramat, du côté de Rocamadour : pour sa subsistance, il a le choix entre un supermarché à Souillac et un autre (de la même enseigne) à Gourdon. Il ne peut atteindre l’un ou l’autre qu’en automobile, pour s’y procurer, par exemple, du poulet brésilien, du miel turc, du cochon ukrainien ou des produits industriels chinois. La campagne est devenue tributaire des inventions les moins aimables de la modernité urbaine.
Dans un monde pollué où l’on s’empoisonne en buvant l’eau de pluie, les limites de l’autarcie sont évidentes et vite atteintes : on peut produire soi-même un peu de piquette, du jus de pommes ou du vin de fruits, éventuellement distiller ses fruits, en affrontant une législation tatillonne (les services des douanes, qui font preuve d’une particulière dureté envers les bouilleurs de cru, n’ont pas su empêcher la constitution de véritables arsenaux dans les banlieues. Les fusils d’assaut AK 47 – kalachnikov, pour les intimes – n’étant pas fabriqués en France, tous les exemplaires utilisés lors d’attentats ou de braquages ont été importés clandestinement), mais personne ne produit son sucre, son thé, son café, son tabac. Antoine Marcel le sait (« je connais ma dette envers l’humanité. Je resterai connecté aux réseaux par une antenne braquée sur un lointain satellite ; j’irai faire mes courses au supermarché avec mon vieux Renault Kangoo ; acheter mon pain ou poster mon courrier à motocyclette », p.11). Les thébaïdes ne sont plus ce qu’elles étaient. Que reste-t-il de précieux à la campagne ? Pour le moment encore, le silence (« Le paysan d’autrefois avait le temps de goûter au silence, quand il retournait sa charrue au bout du sillon, s’épongeait le front, buvait un verre de vin rouge coupé d’eau. Le bûcheron, le charbonnier, pauvres tâcherons d’une vie dure, aux clairières des forêts, vivaient en solitude et silence, toutes choses que le contemporain tient pour nulles. La seule pensée de manquer de réseau le fait frémir », p.30).
Antoine Marcel n’est du reste pas seul en Xaintrie. Les maîtres du zen lui font escorte. Pour qui demeure fermé à cette pensée, cette sagesse, cette philosophie, cette spiritualité, comme on voudra l’appeler, le livre d’Antoine Marcel révélera un phénomène bien connu : « Le jardinage, inséré dans un emploi du temps qui commence au matin avec l’écriture, tient de ces activités ritualisées que l’on pratique dans les monastères zen – je me souviens » (p.85). Pas seulement dans les monastères zen, mais également dans les abbayes bénédictines et cisterciennes. Pourquoi chercher aussi loin ce qu’on peut trouver ici ? Ce qui vaut pour les produits vaut également pour les idées. « Le temps et le lieu ne sont qu’apparences. Seule est vraie l’éternité sous-jacente, ou bien plutôt ce lieu immobile où le temps n’existe pas, et d’où provient le silence » (p.119). C’est la voie – ou la voix – de tous les mystiques. Cette devise est en revanche purement humaine : « Si je ne fais pas mon monde, c’est lui qui va me faire » (p.117).
Gilles Banderier
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