Ma grand-mère et le Pays de la poésie, Minh Tran Huy (par Stéphane Bret)
Ma grand-mère et le Pays de la poésie, Minh Tran Huy, éd. Flammarion, janvier 2025, 176 pages, 19,50 €
Edition: Flammarion
L’importance du lien avec les ancêtres, le rôle des liens familiaux sont un élément essentiel de la culture vietnamienne, marquée par le bouddhisme et le confucianisme. Mais qu’en est-il lorsque de nombreux ressortissants de ce pays ont été contraints, il y a maintenant plus de cinquante ans, de fuir leur pays natal après la prise du pouvoir par les communistes de Saigon, en 1975. C’est ce que raconte Minh Tran Huy, écrivaine déjà consacrée par plusieurs Prix littéraires et autrice de neuf livres.
Le récit de Minh Tran Huy est un hommage à sa grand-mère, surnommée très affectueusement Bà, vocable utilisé dans la langue vietnamienne et se référant à la situation générationnelle d’une personne par rapport à une autre. Minh Tran Huy prend soin de tout évoquer : la vie de Bà, au Vietnam, au moment de la première guerre d’Indochine, celle menée contre les troupes du corps expéditionnaire français ; elle y décrit l’attente du retour de l’époux et du beau-père de Bà : las, ils ont été pris tous deux dans un guet-apens à l’occasion d’un simulacre de réunion, et exécutés dans la jungle parce que jugés collaborateurs en raison de leur origine bourgeoise et de leur absence d’appartenance au parti communiste vietnamien.
Ce parcours, très souvent jalonné de souffrances multiples, liées à l’arrivée dans un pays inconnu, La France, est caractérisé par la quasi impossibilité pour Bà de maîtriser la langue française et d’échanger avec ses enfants et petits-enfants, dont Minh Tran Huy fait partie. Qu’importe la langue, Bà aura recours aux recettes de la cuisine vietnamienne pour donner du bonheur et d’agréables souvenirs à sa famille : « Pour le pho, tu laissais bouillir toute la nuit un énorme os à moelle dans une grande cocotte rouge en acier (…). Tu découpais ensuite de fines tranches de rumsteak cru que tu déposais sur des nouilles de riz légèrement élastiques (…), tout en y ajoutant un peu d’ail haché pour accompagner les pâtés impériaux, mais gardons purs pour le pho ou encore le chung kho ».
Mais c’est dans tous les domaines de la vie quotidienne que cette grand-mère a été admirable pour Minh Tran Huy : sans être lettrée, cultivée au sens classique du terme, elle l’a bercée durant son enfance par des contes vietnamiens, transmettant par là-même le côté poétique du Vietnam.
Minh Tran Huy conclut cet hommage vibrant et émouvant par un constat magnifique : « Je n’ai pas eu accès à ces connaissances que l’on n’apprend pas à l’école, mais se transmettent de mère en fille, ou plutôt de grand-mère en petite-fille. Et je ne suis pas certaine que les savoirs que j’ai acquis grâce à des cours – langues étrangères, piano, violon, danse classique – compensent ce qui me manque, cette aptitude dont je croyais que j’hériterais en temps voulu quand elle demeurera ton apanage, toi qui m’as élevée : le don de créer de la chaleur et du confort pour tous ceux auxquels je tiens ».
Peut-on mieux dire ?
Stéphane Bret
Minh Tran Huy est l’autrice de neuf livres, parmi lesquels : La Double Vie d’Anna Song (Actes sud 2009, Prix Drouot 2010, et Prix Pelléas 2010) ; Voyageur malgré lui (Flammarion 2014) ; Les écrivains et le fait divers (Flammarion 2017) ; Les Inconsolés (Actes sud 2020) ; et Un enfant sans histoire (Actes Sud 2022, Prix Essai France Télévisions 2023).
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