Lucie d’enfer, Conte noir, Jean-Michel Olivier (par Philippe Chauché)
Lucie d’enfer, Conte noir, Jean-Michel Olivier, novembre 2020, 160 pages, 18 €
Edition: Editions de Fallois
« Avec Lucie, les masques tombent les uns après les autres.
Et sous le dernier masque il n’y a pas de visage ».
Lucie d’enfer est un roman où le narrateur devenu écrivain, est hanté par le souvenir de Lucie, une amie de jeunesse, un amour d’adolescence, une passion singulière, disparue sans laisser d’adresse. Un hasard romanesque conduit le narrateur à retrouver Lucie lors d’un déplacement à Montréal, il doit y parler de Jean-Jacques Rousseau et de ses livres, et c’est dans une librairie que l’apparition a lieu – Ses yeux sont embués de nostalgie. Il y a ensuite l’Île de Skye, où s’est installée Lucie avec son nouvel amour, rencontré lors d’un stage de développement personnel que dispense la chamane. Elle vit dans un manoir hanté, avec ses chiens, les deux fils de son mari, et les photographies des ancêtres, le clan. A son tour le narrateur vient l’y retrouver, répondant à un appel à l’aide, pour déposer une caution servant à libérer Lucie, emprisonnée à la suite de l’étrange chute mortelle d’une falaise de son époux.
Il y a aussi une nouvelle invitation du narrateur dans le Jura, où réside désormais l’amie d’enfance, une nouvelle fois seule, après le départ de son nouveau compagnon, disparu lui aussi sans laisser d’adresse – Ma vie est ailleurs – Je ne peux pas vivre avec toi. Lucie va ainsi jour après jour, nuit après nuit, message après message, tisser sa toile d’araignée, où les hommes tombent, et y attirer son amoureux de jeunesse – Pourquoi suis-je entré dans son jeu ? Le narrateur écrivain suit pas à pas cet amour de jeunesse, qui le tourmente, l’hypnotise, l’attire, le fascine. Il imagine ce qu’elle fait, ce qu’elle pense, il se glisse dans l’invisible visage de Lucie, dès qu’elle se manifeste, il répond, fidèle à ses souvenirs et à ses rêves. Il ouvre des portes, sans se douter qu’elles débouchent sur l’enfer. C’est une fois au cœur du brasier incandescent que le narrateur va dénouer l’invisible fil qui le relie à Lucie, et avec lui remonter le temps, ce temps d’une passion dévorante, faite d’apparitions et de disparitions, jusqu’au dénuement de la chute et de l’effroi.
« Il y a, dans la vie de chacun, des zones d’ombre insondables.
Lucie était de nouveau entrée dans l’ombre – et pour longtemps ».
Lucie d’enfer est un roman saisissant, qui frappe l’esprit, par sa force et son naturel romanesque. Jean-Michel Olivier ne force jamais le trait, il décrit et écrit naturellement, comme un conteur, qui par la seule présence de sa voix, la résonance de ce qu’il raconte impose le silence, convoque l’imaginaire. L’écrivain possède cet art singulier de la narration, de la mise en mouvement du récit, il écrit un mot, une courte phrase et l’on est saisi, comme on le serait par un accord de piano et du silence qui s’en suit : Cet été-là, Neuf heures du soir, Un jour, Six mois plus tard, etc. Lucie d’enfer est un roman d’une grande limpidité, roman des absences, des retrouvailles, des attirances, des craintes et des doutes, que nous traversons, comme nous traverserions un conte du Jour et de la nuit, de Maupassant. Un conte où l’écrivain narrateur ne peut se débarrasser de la présence rêvée et fantasmée de Lucie, cet amour fantôme qui s’incruste comme un mal profond, et qui déchire toute vie. Mais contrairement à son Éloge des fantômes (1), ce spectre est bien vivant et terriblement maléfique, alors que les fantômes de l’écrivain, Chessex, Simone Gallimard, Bernard de Fallois, sont d’une présence bénie et bénéfique. Le roman s’achève sous le regard de Baudelaire, la très chère était nue, et de Lucie d’enfer, et il se poursuit dans une dramatique suspension.
Philippe Chauché
Jean-Michel Olivier est notamment l’auteur de L’Amour nègre, Prix Interallié 2010 ; L’Ami barbare(Bernard de Fallois) ; Lautréamont, le texte du vampire ; La Vie mécène ; Passion noire ; Éloge des fantômes (L’Âge d’Homme).
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