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Love is power, ou quelque chose comme ça, A. Igoni Barrett

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 23.09.15 dans La Une Livres, Afrique, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Zulma

Love is power, ou quelque chose comme ça, septembre 2015, traduit de l’anglais (Nigeria) par Sika Fakambi, 352 pages, 22 €

Ecrivain(s): A. Igoni Barrett Edition: Zulma

Love is power, ou quelque chose comme ça, A. Igoni Barrett

 

Les écrivains nigérians ont cette particularité de rafler avec une remarquable régularité le Prix Caine de la meilleure nouvelle en langue anglaise d’un auteur africain. A. Igoni Barrett est un écrivain nigérian de 36 ans, déjà récompensé par de nombreux prix et l’un des rares avec Helon Habila (publié chez Actes Sud) à être traduit en français.

La publication par les éditions Zulma d’un recueil de neuf nouvelles d’Igoni Barrett est une opportunité pour découvrir un univers littéraire en plein essor, vivant, actuel, et dont la remarquable qualité risquait fort d’échapper aux lecteurs francophones submergés par une production hexagonale en ce mois de septembre 2015.

Il existe des moments magiques de lecture et Love is power, ou quelque chose comme ça en regorge. C’est un livre que l’on laisse à portée de main une fois terminé, tant il est impossible de se détacher brutalement des récits de ce jeune auteur. Chacune de ces nouvelles possède une touche, une palette de tons qui renvoient le lecteur à des sentiments variés, parfois même contradictoires, mais toujours intenses.

Dans ce Nigeria, première puissance économique d’Afrique, les modes de vie ont subi le choc de la confrontation entre modernité et valeurs traditionnelles. Certains y gagnent, d’autres y perdent. A. Igoni Barrett a choisi de mettre ses pas dans ceux des perdants. L’acuité de son regard et la finesse de la perception des écueils de ce bouleversement nous livrent des morceaux de lecture exceptionnels.

Quand les plus brillants des étudiants partent à l’étranger obtenir des diplômes et y travailler, ils abandonnent dans le dénuement et surtout la solitude la mère vieillissante et malade. Egoïsme et désintérêt, illustrés d’une main de maître et avec une infinie délicatesse dans Ce qui était arrivé de pire. Les enfants déscolarisés traînent dans les cybercafés et se livrent à des arnaques comme ce jeune de quinze ans, Samu’ila, qui tente de piéger de riches américains en se faisant passer sur le net pour une jeune femme en difficulté, voire une gamine nubile dans Chasseur de rêves ou encore le cas de Dimié Abrakasa, quatorze ans, qui se sacrifie, affronte tous les dangers pour faire vivre sa fratrie, payer le loyer, et tenter de se faire aimer de sa mère alcoolique dans La forme d’un cercle parfait.

On déambule dans un Lagos aux encombrements cauchemardesques, aux faubourgs malfamés où petite délinquance et prostitution ordinaire servent d’exutoires à des flics qui abusent de leur pouvoir. On y côtoie violence et tendresse, révolte et soumission.

Sur le sordide, sur la déchéance, l’auteur jette un regard empreint de compassion sans pour autant sombrer dans le pathétique. L’émotion vibre au détour de chaque ligne, parfois le style se fait plus sec et tranchant pour dénoncer l’intolérable. Et puis surgissent quelques lignes plus loin les pointes d’humour qui adoucissent les pires situations. L’empathie avec ses héros est manifeste et produit des portraits d’une crédibilité saisissante. L’écrivain éclaire l’ombre des rues de Lagos de mille petits détails d’une précision quasi obsessionnelle, anime ses récits de dialogues savoureux, saisis sur le vif dans un « Broken english » ou pidgin, ciment linguistique populaire d’un pays aux multiples langues ethniques et admirablement traduit par Sika Fakambi.

On frôle aussi parfois la farce burlesque comme dans Le problème de ma bouche qui sent, où le narrateur, obligé de prendre le bus pour se rendre chez le dentiste n’ose intervenir dans un différend, son haleine risquant de faire se liguer contre lui l’ensemble des passagers, conducteur compris.

Quant à l’amour qui exerce son pouvoir sur les êtres, il vibre, déchire, asservit ou unit pour le meilleur et/ou pour le pire dans la nouvelle éponyme du recueil, dans La fillette aux petits seins en bouton et au rire bubblegum, Trophée ou encore Gospeed et Perpetua, une nouvelle déchirante dont l’action se situe lors du sanglant coup d’état militaire de 1966.

De l’amour certes, mais aussi des relations sexuelles où pour la femme, voire la très jeune fille, le droit à disposer de son corps reste toujours problématique.

Un amour qui peut être aussi fort que volatile, comme en témoigne Une histoire d’allées et venues à Nairobi, nouvelle à l’accent autobiographique.

« Et puis nous sommes partis.

Parce que j’ai dit que je l’aimais. Et je l’ai dit, à cet instant là, quand j’ai joui en elle. Mais l’amour, ce n’est pas le mariage, un bébé, pour toujours. L’amour, c’est que tu me rends heureux jusqu’au moment où plus du tout » (p.347).

Contrairement à ce que l’on pouvait anticiper, ce recueil échappe au sentiment « d’exotisme » tant les situations et les personnages qui le peuplent tiennent de l’universel, le tout dans un style qui épouse intelligemment son époque.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

A. Igoni Barrett

 

. Igoni Barrett est né à Port Harcourt, au Nigeria en 1979. Il est l’un des plus remarquables tenants d’une nouvelle génération d’écrivains d’Afrique anglophone, faisant monter sa voix d’un pays en expansion volcanique. Love is Power, ou quelque chose comme ça est traduit par la talentueuse Sika Fakambi (Prix Baudelaire de la traduction et Prix Laure Bataillon de la traduction 2014 pour Notre quelque part, de Nii Ayikwei Parkes, traduit de l’anglais (Ghana) et paru chez Zulma). (Présentation de l’auteur sur le site des Éditions Zulma).

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.