Louis XIII et Richelieu, La Malentente, Simone Bertière
Louis XIII et Richelieu, La Malentente, avril 2016, 462 pages, 22 €
Ecrivain(s): Simone Bertière Edition: Editions de Fallois
Quels que soient le cadre institutionnel et la forme du pouvoir, être appelé premier des ministres ou principal conseiller auprès d’un dirigeant place peu ou prou celui qui accepte cette nomination politique en très sensible compétition avec son solliciteur. Même sans en recevoir le monopole, celui qui détient ainsi au sein de l’Etat une haute main sur les affaires ou les leviers suprêmes ne peut en effet remplir sa mission différemment qu’en revêtant la peau d’un décideur. L’usage d’un consensus établissant le partage de l’exercice du pouvoir – le plus réduit fût-il – ne se voit plus, de nos jours et nulle part au monde, au stade expérimental. Pas davantage que les rivalités qui montent régulièrement de ces associations suspendues au principe d’une loyauté due au chef suprême mais où, pourtant, les battements d’ailes de premiers serviteurs fréquemment tirés trop près des « girons solaires » rappellent à bien des égards la périlleuse ascension d’Icare. C’est assurément en reprenant l’un des plus singuliers cas d’histoire ouvrant sur ces questions délicates qu’aura été conduite la présente étude de Madame Bertière.
D’une étroite régulation conçue au sommet de l’Etat ou encore des dispositions constitutionnelles, dépendent, en règle générale et en théorie, les latitudes de mouvement ou le champ d’action spécifique d’un second attaché aux commandes. La définition originelle du « régalien » s’inscrit dans cette optique. Il reste que de telles répartitions demeurent souvent assez abondamment loin de définir avec la précaution suffisante les limites fixées au subordonné pour agir. Dans le déroulé de l’histoire politique, c’est bel et bien ainsi au travers des brèches subsistantes que se seront engouffrés ces grands vizirs désireux de devenir soudain califes à la place du leur, en outre et partout ailleurs, ces seconds mandatés bientôt envahis de fièvres lorsqu’ils se mirent à briguer pratiquement la charge supérieure. Dans une analyse suggérant ce phénomène sous une trame originale et élaborée, aussi à partir d’investigations scrupuleuses, Simone Bertière revient dans son dernier livre sur l’étonnante passe d’arme psychologique (pour ne pas dire défi ou compétition) instaurée au XVIIe siècle entre Richelieu et le roi de France Louis XIII.
Encore qu’on ne puisse en tous les cas les repousser, les bonheurs du hasard ou les manifestations heureuses de la providence peinent fort souvent à expliquer ce qui rendit réputés ou célèbres ces plus fameux duos institués comme hydres à deux têtes au sommet de certains Etats ou clans politiques. Probablement doit-on déduire alors que, à l’exclusion des dévouements sans calculs, c’est toujours plutôt par attrait pour la puissance et pour la richesse, ainsi à travers une intrigue jalouse et intéressée du premier collaborateur finalement désigné, que furent la plupart du temps contractés au niveau le plus élevé ces mariages politiques. Quelquefois maintenus dans la durée par efficacité économique ou simplement par la magie des honneurs et des gains partagés, on les verra tout de même aussi d’autres fois se prolonger jusqu’à l’épreuve ultime des querelles furieuses et des défis mortels lancés. Avec le cas de Sénèque, à terme contraint au suicide par l’empereur Néron, le sujet ne manque pas de signaler que de pires divorces furent quelquefois le tour tragique et funeste par où prirent fin certaines de ces idylles par ailleurs recensées sous le jour de saines et profitables ententes (à l’exemple en France de celle qui concilia Louis VI et Suger/*erreur à leur sujet p.347). En considérant ces extrémités inverses, pourrait-on croire alors que ce qui brisa l’harmonie du couple Louis XIII-Richelieu ne releva jamais que d’une assez intermédiaire banalité ? Sauf à y regarder de plus près, ainsi que le propose ici avec saveur et subtilité la très adroite rapporteuse de leur confrontation…
« Par ses nouvelles fonctions, le voici projeté dans l’univers de la cour » (p.78).
Sous la plume de l’historienne, le sentiment que donne une première affectation de Richelieu en un ministère au service de Louis XIII retient qu’il ne fut pas de cette promotion un très avide et fervent requérant. « Si l’on l’en croit, il se serait fait abondamment prier avant d’accepter le ministère » (p.79). Quelques pages auparavant et en introduction du même chapitre, l’auteure stipule pourtant : « En 1624, Richelieu approche de la quarantaine. C’est plus que jamais un homme pressé, mais il n’en montre rien ». Non point antithétiques alors, ces deux critères opposés mettent au contraire en évidence le plus singulier trait de tempérament de celui à qui la suite des événements rapportera une bonne part des clés du pouvoir. Avidité patiente, duplicité savante et sournoise, cupidité et vanité latentes, absence rude et patente de sentimentalité, rassemblent ici la composante morale la plus voyante du personnage. Sans doute pour ces raisons tombera sur lui rétrospectivement le regard ébahi de l’histoire et pointé sur sa trajectoire aux sinuosités complexes – y compris retracée par lui-même dans ses Mémoires. Richelieu paraît avoir été au bout du compte un arriviste et un intriguant d’extraction de basse noblesse plutôt désargentée (ce qui lui valut d’entrée la haine de nombreux hauts dignitaires), mais doté d’une indiscutable intelligence politique fondée sur sa clairvoyance habile et dont, sans concession abusivement admirative, l’auteure de ce livre lui rend justice. Voudrait-on croire cependant que les crimes auxquels il fut si étroitement associé ne répondirent jamais qu’aux fatalités d’une période particulièrement troublée où, pour l’intérêt général et pour plaire au roi tout état d’âme devait être sacrifié, qu’on éprouverait quand même la plus grande peine à retenir l’image d’un Richelieu innocenté par sa droiture morale ou excusé par son dévouement zélé. Comment son invention d’une police secrète, ses méthodes abondamment fondées sur l’espionnage, la délation, le chantage et le profil même de la torture attireraient-ils sur lui en effet une empathie ou un regard durablement émerveillé ? Tout comme le décrit S. Bertière, c’est bien souvent pourtant en endossant les décisions tranchantes et cyniques d’un Louis XIII jaloux de son mandat divin haussé jusqu’à la confusion des rôles, en défendant également les intérêts d’un héritier de la couronne tant malmené par ses souffrances physiques chroniques que par son esprit court abondamment rallié aux solutions tyranniques, que Richelieu se vit assumer l’impopularité croissante visant son propre rôle et sa personne. Au demeurant, la sensation que le Tartuffe de Molière – pourtant apparu bien après lui – imposait déjà à la cour du roi Louis XIII sa plus prémonitoire illustration nous revient du présent tableau d’Armand Jean du Plessis, brossé avec soin derrière les lignes constantes de son très saillant caractère, la bigoterie d’un cardinal peu empêtré de charité religieuse n’en déjouant aucun trait. Ainsi que le présente l’enquêteuse au chapitre intitulé Le poison du doute, l’œuvre écrite de Richelieu ne manquerait d’ailleurs pas de conforter cette comparaison avec le fameux personnage de Molière suggéré avant : « Le Testament politique est une transposition du Prince de Machiavel, abritée sous le parapluie d’une profession de foi chrétienne » (p.310). On notera simplement qu’à la différence du sulfureux recteur de conscience auprès d’Orgon chez Molière, le Tartuffe sévissant au côté de Louis XIII ne se sera pas privé de pousser son intérêt et sa propre défense jusqu’à l’exécution rapidement instruite des opposants à lui, tout comme Cinq-Mars et de Thou au final de ce traité.
« … Louis XIII était poussé par sa propre inclination aux “actions de sévérité”, mais que, les sachant “moins sortables à la dignité d’un grand prince que celle de la clémence”, il s’en déchargeait sur son ministre » (p.238). Montrésor, un noble qui ne se refusa pas de conspirer avait compris l’astuce. S’il faut alors retenir du roi qu’il détenait au moins l’habileté de savoir faire porter à son second le chapeau des plus douloureux effets de sa politique (guerres intérieures ou menées hors des frontières, châtiments sans pitié, exigences démesurées), le portrait que nous livre de lui Simone Bertière reste en général assez loin de louer l’envergure et les qualités de son esprit particulier. L’assassinat traumatisant de son père (Henri IV), les jalouses prétentions de sa mère (Marie de Médicis) à travers la régence mais aussi ses graves difficultés personnelles (son bégaiement maladif) suggéreraient-ils son devancier penchant de rustre que l’on ne saurait pourtant compter comme passagère cette vérité globale du roi que rapporte avec finesse le présent ouvrage dans un précoce extrait :
« Ce n’est pas un intellectuel, la réflexion chez lui se résout aussitôt en action – un peu trop vite parfois. Il tient par-dessus tout à son autorité. Il n’agit pas par caprice, il veut être obéi non pas en tant qu’individu, mais comme roi, représentant Dieu sur la terre, garant d’un ordre qui le dépasse – d’où son obsession du droit, de la loi. Partisan des solutions radicales, il refuse les moyens termes. Chez lui et chez sa mère, même tempérament, même volonté de puissance. Ils sont aussi coléreux l’un que l’autre, mais chez elle la colère explose, tandis que chez lui, à qui elle a valu tant de punitions dans son enfance, elle est réprimée, renfermée, et d’autant plus dangereuse » (p.66).
De rustre à psychopathe, ne se verrait bientôt plus qu’une seule marche à gravir. Cependant, sous un regard éveillé aux critères subtils de la psychanalyse et renseigné des plus fameux cas d’espèce similaires quatre siècles après…
Avec derrière eux la toile houleuse des événements successifs tissant aussi constamment leur assez précaire affinité, Louis XIII et son impétueux agent d’Etat se découvrent ici tous deux à la crête d’une société rendue violente, indubitablement d’abord par de graves et difficultueux paradoxes de références religieuses et de choix politiques sensiblement inversés. Tant contre le monarque que contre son conseiller se révèlent en effet les uns après les autres, les complots véritables où inventés, les ligues réelles ou supposées, les menaces intérieures ou les provocations externes au pays, face à quoi, toute solution immédiate et radicale n’est pas tout d’abord adoptée. De l’élimination subreptice de Concini aux réclusions brutales des émules du parti « dévot » que sont Marie de Médicis ou d’Anne d’Autriche, avec de ce même côté aussi les passages à perte d’un Montmorency ou autres victimes d’une journée de dupes, ne manquent plus pour donner un diapason exact à cette vaste et bruyante symphonie dramatique que les trépidantes menées du frère du roi, la ronde des favoris condamnés et les tapageuses guerres portées de La Rochelle jusqu’aux Pays-Bas espagnols dans un conflit larvé avec le Habsbourg et l’Espagne derrière lui. Au-dessus de ce qui se traduit ici et au final en une assez scabreuse partition musicale, assurément et grâce à sa limpidité d’écriture, Simone Bertière hisse au premier plan avec clarté et tout au long de son ouvrage la dissonance continuelle et périlleuse qui interposa le fils d’Henri IV avec son décrié mais jamais désavoué ministre.
Les évolutions et rebondissements duo-centrés de ce passionnant récit feraient presque oublier certains bains de sangs horribles et odieuses tournures de faits qui firent contrechant à la déjà rugueuse mélodie du XVIIe siècle français fondu dans les dissensions religieuses. Au royaume de la « malentente » et des aveuglements, les dépassements de bornes auraient-ils été rois ? A lire donc avidement, mais peut-être aussi avec le recul d’esprit nécessaire pour goûter sereinement son plaisir.
Vincent Robin
* Erreur p.347 : Suger fut bien tour à tour principal conseiller aux affaires des rois Louis VI dit « le Gros » et Louis VII, son fils qui hérita de la couronne à la mort de son aîné en 1137. La seconde croisade ayant été initiée en 1145 avec le fameux prêche de Bernard de Clairvaux à Vézelay, Suger exerça donc la régence en l’absence du roi Louis VII (père de Philippe Auguste) vers 1146-49 et non pas lors d’une expatriation de son père Louis VI qui, de mémoire historique et n’en déplaise à la très avisée Simone Bertière, ne participa absolument à aucune croisade de tout son règne (1108-1137). Cette méprise n’ôte toutefois rien au modèle de confiance délivrée par un Capétien à Suger au XIIe s.
- Vu : 3751