Los Angeles Nostalgie, Ry Cooder
Los Angeles nostalgie (Los Angeles stories), Traduit (USA) par Ariane Bataille, 296 p. 22,90 €
Ecrivain(s): Ry Cooder Edition: 13ème note éditions
Ryland Peter Cooder, ô combien mieux connu sous le nom de Ry Cooder, nous avait ébloui de son talent fabuleux de guitariste slide et de bluesman depuis la fin des années 60. Le voici dans un rôle d’écrivain, de nouvelliste, et le résultat est brillant.
Qu’on se rassure, Ry n’a pas oublié la musique. Elle est présente dans toutes les nouvelles de ce recueil. Sous toutes les formes – et Dieu sait qu’il y en a moult ! – qui le passionnent : le texmex, le blues, le jazz, le country. On croise à chaque coin des rues de LA des personnages rares, souvent déjantés, qui grattent pour des cachetons de misère, ou qui soufflent, ou qui poussent la chansonnette.
Le LA de Ry est celui qu’on attendait de lui et de ses convictions affichées « à gauche » (!) : c’est celui des pauvres, des ouvriers, des chicanos, des noirs, des paumés, des petits malfrats à la petite semaine. L.A. nostalgie compose un tableau bigarré et attachant de la Cité des Anges des années 50, celle de Raymond Chandler et de Dashiell Hammett, des débuts du Rock and Roll, du règne du blues. Au détour d’une page, on rencontre John Lee Hooker, d’une autre page, TBone Walker. Et tant d’autres. Ry cooder rend hommage au berceau de son enfance.
Mais il le fait sans concession, sans pleurnicherie, avec le regard lucide de celui qui a été pauvre et maltraité par la vie et qui aujourd’hui encore s’en souvient. On peut être le « pape » de la Warner et dans sa tête encore le frère des chicanos et des paumés de Chavez Ravine.
8 nouvelles, rangées par ordre chronologique de 1940 à 1960. Le cadre, les personnages, les histoires, même s'ils nous sont étrangement familiers car charriant tout notre imaginaire de l’ouest construit par la musique, le roman, le cinéma, sont ici, sous la plume de Ry Cooder, profondément originaux. Parce qu’imprégnés de morale et de blues.
La référence au blues, au jazz, est constante :
« L’homme a mis un disque, Clarinet marmalade, Johnny Dodds, label Okeh enregistré en 1927. » (Qui connais-tu que je ne connais pas ?)
« Un peu plus loin j’ai entendu un saxophone ténor jouer un riff à une seule note, genre ba-ba-bada, je ne sais combien de fois. » (Tuez-moi por favor)
« Je m’appelle John Lee Hooker. Mes disques sont numéro un à Detroit en ce moment. Je suis un étranger dans votre ville. » (Tuez-moi por favor)
Et Ry ne se contente pas d’en parler. Dans les pages de ce recueil, il nous joue encore son blues, cristallin et lancinant, beau comme les sons de sa guitare. Phrases courtes, répétées, sons graves, syncopés. Sur des thèmes familiers aussi, nourris de John Steinbeck ou Fante autant que de Woody Guthrie : l’Amérique des travailleurs, l’Amérique des pauvres, des héros humbles, des oubliés du capitalisme.
« Il a bossé comme maçon jusqu’à sa mort, ce petit homme frustré, au lancer méchamment rapide, au talent gaspillé. J’ai appris le métier auprès de mon oncle Gustavo, Gus. Spécialiste des costumes deCharro pour les pariachis qui traînent à Boyle Heights. Une très bonne clientèle, très fiable. Si vous leur plaisez, ils vous sont fidèles. » (Qui connais-tu que je ne connais pas ?)
Vous entendez le rythme ternaire. La dernière phrase citée est carrément un alexandrin !
Et en basse continue, discret mais omniprésent, l’hommage aux combattants sociaux, aux syndicalistes, aux mouvements ouvriers
« Il a été tué ici, à Los Angeles, par la police. Mon mari était un socialiste convaincu, syndicaliste, imprimeur. Il luttait contre Mussolini. Il avait un camarade, un philippin, qui essayait de sensibiliser les membres de sa communauté au fascisme. Un soir, il y avait un meeting sur Temple Street. Quelqu’un a prévenu la police, qui s’est empressée de faire une descente … Ils ont ouvert le feu ; mon mari a été blessé. Aucun médecin n’a voulu le soigner. »
Comme dans ses derniers opus musicaux (Chavez Ravine, My name is buddy, Special elections) Ry Cooder nous offre une oeuvre engagée. Et belle.
On ne peut finir sans rendre l’hommage dû à Ariane Bataille, la traductrice, qui a su préserver l’âme de ces nouvelles dont la musique originale est américaine jusqu’à la moelle.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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