Lore, Alexandra Bracken (par Didier Smal)
Lore, Alexandra Bracken, J’Ai Lu/Flammarion, février 2023, trad. anglais (USA) Jean-Baptiste Bernet, 704 pages, 9,90 €
Edition: J'ai lu (Flammarion)
L’idée n’est pas neuve, depuis au moins le Malpertuis de Jean Ray, de faire descendre les dieux de l’Olympe sur Terre ; Alexandra Bracken la perpétue en lui offrant une plus-value guerrière et complotiste : tous les sept ans a lieu l’Agôn. Sept jours durant, neuf dieux majeurs descendent sur Terre, mortels et susceptibles d’être assassinés par un « Chasseur » qui endosse dès lors leurs pouvoirs – enfin, ceux d’un dieu à la fois, le cumul étant impossible. Les « Chasseurs » eux-mêmes appartiennent à neuf lignées héritières de héros mythologiques, chaque lignée défendant « son » dieu et tentant de s’approprier les pouvoirs de l’un ou l’autre dieu. Cette appropriation permet durant sept années de développer des activités tout humaines. Ainsi, qui s’est approprié les pouvoirs et donc l’influence d’Arès sur Terre, a tout intérêt à avoir investi dans l’armement ; quant à Apollon, il facilite grandement les choses du côté de l’industrie pharmaceutique.
Au moment où s’ouvre Lore, l’Agôn vient de débuter à New York, et c’est parti pour un récit aux rebondissements aussi multiples que sanglants, subis pour l’essentiel par l’héroïne éponyme, ultime héritière (après massacre) de la lignée des Perséides. Entre la découverte que son amour d’enfance vient de gagner l’immortalité en devenant Apollon et celle d’Athéna mal en moins sur le pas de sa porte, Lore va donc courir un New York au fond inexistant (la ville n’est qu’une toile de fond, un décor en carton-pâte), parler la « langue ancienne », combattre, frayer avec un univers d’une cruauté incroyable (effectivement, les dieux grecs ne sont pas réputés pour leur humanisme délirant), se retrouver mêlée à une guerre des lignées qui ressemble à s’y méprendre à une guerre de gangs mafieux sadiques, se souvenir de qui elle est et devenir qui elle est doit être selon elle.
Tout cela est bel et bon, mais malgré de nombreux clins d’œil à la mythologie grecque et un rythme soutenu, on n’accroche que péniblement à une histoire qui semble de bout en bout tirée par les cheveux de la Gorgone. À nouveau, comme régulièrement dans le domaine de l’imaginaire (Bracken flirte avec l’urban fantasy), le lecteur avec un rien d’amphore (ou de bouteille, ça dépend de l’époque choisie) ressent l’aspect industriel du récit : Lore est un roman écrit pour un public-cible (attention, ne nous leurrons pas : bien des romans « intellectuels » pèchent par le même défaut, être écrits pour plaire à un lectorat conquis d’avance, et on a évoqué ici le cas d’un Jón Kalman Stefánsson), selon une recette établie et ayant fait ses preuves. Puisque l’éditeur américain lui-même la revendique, usons de l’étiquette « Young Adult Fantasy ».
En clair, si votre adolescent finissant s’intéresse un peu à la mythologie et en a déjà fini avec la série des Percy Jackson, offrez-lui Lore. Puis glissez-lui votre exemplaire défraîchi de Malpertuis, celui avec la couverture gothique publié en poche par Marabout, histoire qu’il passe aux choses sérieuses.
Didier Smal
Alexandra Bracken (1987) a travaillé dans le monde de l’édition avant de devenir autrice à succès de romans et histoires courtes siglés Young Adult Fantasy.
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