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Liberté inconditionnelle, Francis Métivier

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 08.10.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Liberté inconditionnelle, Pygmalion, avril 2016, 254 pages, 18,90 €

Ecrivain(s): Francis Métivier

Liberté inconditionnelle, Francis Métivier

 

Francis Métivier, par son titre Liberté inconditionnelle qui détonne, fait un pied de nez à la tendance actuelle qui consiste à proposer des livres « mode d’emploi » pour accéder au bonheur ou à la joie. Point étonnant pour ce philosophe rock‘n’roll (auteur de Rock’n philo) de ne pas souscrire à toute cette mollesse monotone autour du bonheur. Il dénonce d’ailleurs cet éloge de la joie qui a tendance à déformer la théorie de Spinoza et le brandir comme le philosophe phare de la joie… Alors qu’en réalité, la joie spinoziste tend vers Dieu.

Aujourd’hui, tout est centré sur cette quête du bonheur. Même au travail, on crée des métiers exotiques de « chief happiness officer » pour valoriser le bien-être en entreprise. On mesure même le bonheur intérieur brut des pays… Mais on se préoccupe de moins en moins de notre degré de liberté. « Le bonheur est au fond un concept très contemporain. L’homme dans l’histoire de la pensée, s’est interrogé sur le soulagement, l’ataraxie, l’absence de douleur ». Or, de nos jours, la philosophie, pour se faire aimer, s’est transformée en marchande du bonheur. « Le bonheur est devenu une grande surface commerciale où poussent les rayons joie, bien-être, connaissance de soi ou beauté ».

C’est la frénésie des faux philosophes et du retour de la caverne de Platon. Pourtant notre société a tendance à réduire tout doucement nos petites libertés, en les traçant subtilement dans le magma sans fin du Big data. Même l’informatique réduit notre espace en le codant. Francis Métivier a donc raison d’attirer notre attention sur la liberté. Rien n’est acquis. Les révoltes sociales ont surtout émergé pour la liberté, non pas pour le bonheur. La liberté est grandiose, alors que le bonheur est quelque chose de plus intime et subjectif.

Nous sommes dans l’ère du « bonheur contenu ». Pour illustrer ce type de bonheur, l’auteur évoque les propos de Zizek, la « permission de jouir dans le pseudo-infini d’une consommation fermée » : « Bois tout le café que tu veux. Mais si et seulement si celui-ci est décaféiné. La liberté du café décaféiné à volonté parce qu’on a retiré à la substance ». Tout est permis, mais à condition que cela soit sous contrôle.

Autre inconvénient de cette quête absolue du bonheur, ce dernier pousse parfois à trop de comparaison. Quand on est libre, on ne se compare à rien, puisque que l’on est affranchi des injonctions. « Le bonheur dont l’envie ne vient pas de moi se heurte à deux maux : la comparaison et la jalousie ». En témoignent les réseaux sociaux : montrer son bonheur, « ce comportement rend heureux, oui… mais deux minutes seulement ». Cela revient à la théorie d’Elsa Godart qui souligne que, interrompre sa jouissance pour poster un selfie, ce n’est plus jouir… « Ce sentiment de compétition sociale tue à la fois la liberté et le bonheur ».

Voulons-nous alors donner raison à Schopenhauer qui nous condamne à demeurer des êtres de désir, englués dans le manque et la frustration, soit dans le déterminisme d’une souffrance certaine ? Ou au contraire, ne serait-il pas plus judicieux d’essayer de penser en être libre ?

L’auteur nous invite à être désinvolte. « Etre désinvolte, c’est laisser le temps s’écouler, s’en branler que le temps s’écoule, et ne pas s’en cacher, faire passer le temps au sens strict. Etre détaché du monde et de soi ». Il faut savoir que le mot désinvolture vient du latin volvo, qui signifie « rouler, dérouler, développer ». C’est accepter d’être en roue libre, le freewheeling. Mais pour arriver à ce stade, il faut avoir beaucoup pédalé… Diogène était désinvolte dans son tonneau. Il faut refuser de céder aux injonctions honteuses. « Le désinvolte se moque de la vérité ». C’est le contraire de l’hyperactivité dans laquelle nous entraîne la société actuelle, qui frise le burn-out. On ne peut pas changer le monde, mais on peut construire partiellement son monde.

Chose importante que l’on a tendance à nier : pour être libre, il faut se confronter à l’idée de la mort. Faire comme si elle n’existait pas n’est pas une attitude responsable. La mort a été pendant des siècles le principal sujet des philosophes. La mort est le sujet dont découlent les vraies questions philosophiques. On ne peut en faire abstraction.

Vaut-il mieux alors mourir libre ou heureux ? Mourir debout ou vivre à genoux ? « Notre liberté humaine est notre transcendance », comme le rappelle l’auteur. C’est la liberté qui nous rend humain. Même si la liberté est une quête difficile, voire un combat permanent.

Un essai à lire pour se réveiller et se confronter aux vraies questions.

 

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

 


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A propos de l'écrivain

Francis Métivier

 

Francis Métivier, docteur en philosophie, essayiste et romancier, est l’auteur de Rock’n philo et réalise depuis 2011 des « rock’n philo live ». Il est également chroniqueur pour le site de l’Obs ; et il est coréalisateur et présentateur de la chaîne numérique PHI.

 

A propos du rédacteur

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".